Est justifiée la sanction de mise à la retraite d'office d'une magistrate qui s’endormait en salle d’audience, qui manifestait un comportement particulièrement inapproprié au sein de la juridiction et a publié des messages xénophobes sur LinkedIn.
Dans un arrêt du 10 juillet 2023 (requête n° 458534), le Conseil d’Etat valide la décision du garde des Sceaux qui a prononcé à l'encontre d'une magistrate la sanction de mise à la retraite d'office, se fondant sur les nombreux manquements reprochés à l'intéressée dans le cadre des fonctions qu'elle a exercées au parquet général de la cour d'appel de Paris à compter de septembre 2014, ainsi que sur le caractère extrêmement déplacé, pour un magistrat en exercice, des messages diffusés par elle au début du mois d'août 2020 sur le réseau social professionnel LinkedIn.
La formation du Conseil supérieur de la magistrature, compétente à l'égard des magistrats du parquet, statuant en matière disciplinaire, fait état de "la multiplicité des témoignages concordants" selon lesquels la magistrate a fait preuve, dans l'exercice de ses fonctions de substitute générale près la cour d'appel de Paris, et sur plusieurs années, de graves manquements professionnels.
Ces manquements se manifestaient notamment par :
- l'absence de règlement d'un nombre important de dossiers qui lui avaient été affectés ;
- des retards ou absences imprévues à de nombreuses audiences lors desquelles elle devait requérir, nécessitant de manière récurrente des remplacements en urgence ;
- de fréquents endormissements lors d'audiences publiques ;
- l'accumulation de retards dans le traitement des dossiers qui lui étaient affectés ;
- des carences manifestes sur la forme et sur le fond de ses réquisitions et, plus largement, par une incapacité structurelle à assumer ses fonctions, alors même que sa hiérarchie, tenant compte des problèmes rencontrés, avait veillé à l'affecter successivement sur des postes de nature à atténuer tant sa charge de travail que la difficulté des missions qui lui étaient confiées.
En outre, la magistrate a fait preuve de manière répétée d'un comportement particulièrement inapproprié au sein de la juridiction, notamment en se présentant à plusieurs audiences dans un état ne lui permettant pas d'exercer ses fonctions et en tenant lors d'audiences publiques des propos incohérents, déplacés ou agressifs à l'égard des justiciables, des avocats comme de ses collègues magistrats.
Enfin, la magistrate a, du 3 au 8 août 2020, mis en ligne sur le réseau social à caractère professionnel LinkedIn, depuis son compte qui mentionnait son identité et sa qualité de magistrate, une série de messages extrêmement déplacés pour un magistrat en exercice, au contenu outrancier ou injurieux et, pour certains d'entre eux, présentant un caractère xénophobe.
Ces messages, dont l'un a fait l'objet d'un article dans un journal satirique de la presse nationale, ont conduit à ce qu'un rappel à la loi soit prononcé à l'encontre de la magistrate pour injures publiques envers une personne ou un groupe de personnes à raison de l'origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée.
L'ensemble de ces faits, qui ont à la fois perturbé le bon fonctionnement des services du parquet général de la cour d'appel de Paris et porté atteinte à l'image comme au crédit de l'institution judiciaire, constituent de graves manquements de l'intéressée aux devoirs de son état au sens de l'article 43 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.
Ils sont, par suite, constitutifs de fautes de nature à justifier une sanction disciplinaire.
Dans ces conditions, eu égard à la nature et à la gravité des manquements commis, qui ont été récurrents et se sont produits sur une période de plusieurs années, le garde des Sceaux n'a pas, en décidant sa mise à la retraite d'office, qui ne constituait pas la sanction disciplinaire la plus élevée aux termes de l'article 45 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, prononcé à son encontre une sanction disproportionnée.
Il résulte de tout ce qui précède que la magistrate n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du garde des Sceaux du 24 septembre 2021.