Au niveau mondial, le nombre d'opérations a chuté 16% et la valeur des opérations enregistre une baisse de 41%, ce qui porte leur montant total à 1,2 billions de dollars au premier semestre 2020 contre près de 2 billions de dollars au premier semestre 2019. C’est le constat du nouveau rapport M&A Insights H1 2020 du cabinet Allen & Overy.
La complexité croissante de l’environnement technique de transaction et le durcissement des réglementations et des mesures de contrôle des pays, déjà constatés avant la crise, sont exacerbés par l’interventionnisme grandissant des États, qui cherchent à protéger leurs économies. Les entreprises et les investisseurs privilégient désormais la prudence, en conservant des liquidités et en protégeant leurs sources de revenus, a contrario de l’investissement M&A.
- Le marché des fusions-acquisitions a enregistré un recul de 41 % en valeur et de 16 % en volume par rapport au premier semestre 2019.
- Les transactions d’une valeur supérieure à 10 milliards de dollars ont reculé de 48 % par rapport à 2019. Dans le secteur des Sciences de la Vie, le nombre d’opérations est tombé de 7 au premier semestre 2019 à zéro en 2020.
- Depuis le début de l’année, les transactions domestiques ont diminué de 50 % en valeur et de 12 % en volume. Les transactions transfrontalières continuent leur déclin avec une baisse de 15 % en valeur et de 24 % en volume sur la même période.
- Malgré ce repli, la valeur des opérations européennes a augmenté de 30 % depuis janvier, avec la réalisation de transactions d’envergure en début d’année.
- Les investissements M&A en France ont baissé de 26 % en valeur et de 45 % en volume au cours du premier semestre 2020. Cependant, les transactions domestiques ont augmenté de 21 % par rapport à 2019.
- Dans le secteur de la vente au détail, la valeur des opérations a augmenté de 24 %, malgré une baisse de 21 % en volume.
Chiffres définitifs de Refinitiv pour Allen & Overy sur la période allant du 1erjanvier 2020 au 30 juin 2020
De bonnes performances pour l’Europe en trompe l’œil
A contre-courant des chiffres internationaux, les transactions européennes enregistrent une hausse de 37 % en valeur au premier semestre 2020. Cette augmentation s’explique notamment par le nombre de transactions d’envergure déjà bien avancées avant le début de la crise sanitaire, comme la vente de ThyssenKrupp à Advent pour 17,2 milliards de dollars (soit 15,32 milliards d’euros) ou l’acquisition de Qiagen par Termi Fisher pour 11,5 milliards de dollars (soit 10,24 milliards d’euros).
Les perspectives économiques incertaines rendent difficiles l’évaluation des actifs, ce qui pousse les investisseurs à privilégier davantage la sécurité des opérations et à se concentrer sur la conservation des liquidités plutôt que sur les transactions M&A. Les secteurs des Sciences de la Vie et des Technologies, qui restent viables, continuent d’attirer contrairement aux secteurs plus fragiles tels que l’aviation, l’hôtellerie ou les loisirs, malgré le développement des aides publiques. L’incertitude risque de se prolonger au second semestre 2020, avec, de surcroît, l’horizon d’un Brexit rendu difficile par la prolongation des négociations entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni.
En France, concomitamment au recul constaté à l’échelle internationale, les opérations ont baissé de 45 % en volume et de 26 % en valeur depuis le début de l’année. Cependant, les transactions domestiques ont enregistré une hausse importante par rapport au premier semestre 2019 avec une augmentation de 21 % en valeur, portant leur montant total à près de 16 milliards de dollars (soit 14,17 milliards d’euros). Parmi les transactions importantes de ce début d’année, l’acquisition par Crédit Agricole en février de cinq centres commerciaux d’Unibail-Rodamco-Westfield, à hauteur d’1,2 milliards de dollars (soit 10,6 milliards d’euros) constitue l’une des opérations les plus significatives en France.
La crise accélère la digitalisation de tous les secteurs
La crise sanitaire impacte l’ensemble des secteurs en termes de transactions M&A, avec une baisse, en valeur, de 79 % dans le secteur des Sciences de la Vie, de 51 % dans l’Énergie et les Infrastructures et de 38 % dans les Technologies, Médias et Télécoms. Cependant, le net recul enregistré dans le secteur des Sciences de la Vie est à relativiser à l’aune des chiffres très élevés de l’année 2019, qui a vu la réalisation de transactions massives comme l’acquisition de Celgene par Bristol Myers Squib pour une valeur de 78 milliards de dollars (soit 69,15 milliards d’euros), soit la neuvième transaction la plus importante jamais réalisée.
Le secteur des Sciences de la Vie est particulièrement exposé dans le cadre de la crise sanitaire. Les programmes de Recherche & Développement du secteur ont notamment été réquisitionnés pour la lutte anti-COVID, ce qui peut faire craindre une perturbation des modèles de financement traditionnels du secteur.
En parallèle, le confinement et la distanciation sociale imposés vont très probablement accélérer les rapprochements entre les sociétés pharmaceutiques et les géants de la Tech, déjà engagés depuis plusieurs années, ainsi que la transformation technologique du secteur avec le développement du Big Data, qui prend une place toujours plus importante dans la chaîne de valeur des industries pharmaceutiques, de l’intelligence artificielle ou de la télémédecine.
La crise sanitaire et la digitalisation croissante qui l’accompagne risquent également d’impacter de façon durable le commerce de détail, qui accuse une baisse de 21 % du nombre d’opérations par rapport à 2019, malgré une augmentation de 24 % en valeur. En effet, la récession projetée et les mesures de sécurité ont nui à la consommation des ménages. La transition numérique des acteurs du secteur va très probablement s’accélérer et des investissements dans des technologies clés ainsi que des collaborations avec les plateformes technologiques de livraison sont donc à envisager pour le deuxième semestre 2020.
Le contrôle renforcé des investissements directs étrangers durcit le cadre réglementaire
De nombreux gouvernements et organisations ont resserré leurs contrôles sur les investissements directs étrangers (IDE), afin de protéger leurs actifs stratégiques et d’éviter la perte d’entreprises considérées comme vitales pour les intérêts économiques des pays et des régions. Par exemple, l’Union Européenne exige désormais la notification obligatoire de toute acquisition dont l’acheteur est basé hors de l’Union et qui reçoit des subventions de son pays d’origine. Outre-Atlantique, le Sénat américain a décidé d’interdire la cotation d’entreprises étrangères contrôlées par l’État sur les bourses américaines. L’Australie a également renforcé son contrôle des investissements étrangers, en instaurant un examen approfondi de 6 mois avant la prise de contrôle par un acteur étranger d’une entreprise australienne.
Ces mesures de contrôle renforcé des IDE sont à analyser en parallèle des mécanismes de soutien étatiques à l'économie, subventions, prêts, nationalisations partielles, qui s’accompagnent régulièrement d’engagements imposés par les gouvernements pour les entreprises bénéficiaires.
Mis en place dans un contexte de crise exceptionnel, ces dispositifs et les obligations qu’ils instaurent accentuent la complexité du cadre réglementaire et freinent les opérations transfrontalières.
« La crise sanitaire sans précédent que nous traversons a fortement impacté le marché du M&A et les chiffres au premier semestre 2020 en témoignent. En cette période de turbulences, les investisseurs privilégient la prudence et on assiste à un regain protectionniste qui complexifie encore davantage l’environnement technique de transaction. Bien que l’incertitude va se poursuivre au second semestre 2020, l’accélération de la transformation digitale des acteurs économiques, dans tous les secteurs, promet tout de même de nouvelles opportunités. », analyse Frédéric Moreau, associé au sein de la pratique fusions et acquisitions d’Allen & Overy à Paris.