La commission Haeri formule 50 propositions pour réformer la profession d'avocat

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Kami Haeri, avocat associé chez August Debouzy, a remis le rapport de son groupe de travail sur l'avenir de la profession d'avocat ce jeudi matin à Jean-Jacques Urvoas, ministre de la Justice. Pour les auteurs du rapport, il est encore temps d'agir pour répondre aux défis que constituent la formation, le développement du numérique, l'éclatement des schémas classiques en matière de travail ou encore une redéfinition du besoin de droit.

Chargée par Jean-Jacques Urvoas, ministre de la Justice, de réfléchir à l’avenir de la profession, la "commission Haeri" a rendu public son rapport aujourd'hui.
Les auteurs du rapport font le constat de bouleversements sans précédent : "Jamais notre profession d'avocat n'aura été confrontée à une série de changements aussi nombreux, aussi profonds et aussi simultanés. (...) La profession est confrontée à la somme de tous les défis : morosité économique, paupérisation d'une partie de son effectif, concurrence mondialisée, intelligence artificielle, apparition d'une sous-traitance de plus en plus sophistiquée, transformation de certains de ses savoir-faire en commodités. Elle est concurrencée à ses frontières par d'autres professions, mais également par de nouvelles propositions et de nouvelles offres, formulées par des entreprises souvent plus audacieuses , parfois moins scrupuleuses."
Aussi, "c'est donc faire la conduite du changement qu'il faut concentrer nos efforts."  

La profession d'avocat a vu ses effectifs multipliés par deux en 20 ans et connaît une croissance annuelle constante de l'ordre de 4 %, avec un taux de féminisation de l'ordre de 55 %.
Le rapport souligne que contrairement aux idées reçues, le marché du droit ne s'est pas rétréci à la mesure de l'augmentation du nombre d'avocats. Au contraire, alors que le nombre d'avocats a presque doublé en 20 ans (passant de 29.368 à 58.596 en 2014), les bénéfices générés par la profession sur la même période ont triplé (1,5 milliards d'euros à 4,4 milliards d'euros).

Le rapport formule 50 propositions pour amorcer la "conduite du changement" face aux défis que constituent la formation, le développement du numérique, l'éclatement des schémas classiques en matière de travail ou encore une redéfinition du besoin de droit pour une profession qui est passée du tout judiciaire à l'appropriation du marché de conseil qui constitue aujourd'hui les deux tiers de son activité et de ses ressources.

Améliorer la formation pour garantir l'excellence

En ce qui concerne la formation, "perçue unanimement comme une suite d'enseignements trop variés pour permettre de dégager une stratégie d'apprentissage", dont le contenu est jugé de "qualité très inégale" et "ne permettant pas d'établir une image lucide de l'exercice  professionnel", la commission préconise notamment d'intensifier le dialogue avec les universités dans l'intérêt de l'étudiant par la mise en oeuvre par la profession d'un plan national de sensibilisation avec l'ensemble des facultés de droit, de poursuivre la réforme de l'accès initial en amplifiant  l'harmonisation de l'examen national aux CRFPA en assurant une plus grande égalité des chances en imposant la correction croisée des copies à l'échelle nationale et de réformer les enseignements dans les CRFPA en ajoutant des enseignements basés sur les humanités (économie, sciences politiques, histoire contemporaine...) ou encore de compléter les enseignements avec des formations plus managériales. Les Cliniques Juridiques apparaissent également comme une opportunité pour la profession. Enfin, le rapport veut redonner toute sa fonction à la formation continue en recommandant que sur les 20 heures dédiées à la formation continue, 4 heures soient consacrées à l'enseignement et à la mise à jour des connaissances en matière de déontologie mais aussi en proposant aux jeunes avocats un programme de formation continue leur permettant d'acquérir les savoir-faire en matière de développement professionnel et personnel ainsi qu'en utilisant les outils numériques (MOOCS, systèmes de vidéos accessibles à distance...). 

Devenir agiles et innovants

La collaboration libérale est le plus ancien et le principal modèle de relations d'affaires entre les avocats. Les collaborateurs libéraux ont des difficultés à développer leur clientèle personnelle. Selon l'étude de la Commission Collaboration du CNB, 80 % des collaborateurs interrogés déclarent avoir des dossiers personnels en 2016. Par ailleurs, ces derniers ne se sentent pas accompagnés dans la gestion de leur carrière.
Pour remédier à ces blocages, la Commission propose d'autoriser la rémunération de l'apport d'affaires entre avocats. De même, l'ouverture minoritaire des cabinets d'avocats aux investisseurs non issus de professions réglementées pourrait permettre d'apporter à la gestion et au fonctionnement du cabinet un regard différent et novateur. 
L'ambition des auteurs du rapport est aussi de faire de la profession un modèle de transformation numérique. Pour répondre à cet enjeu, il leur apparaît nécessaire de développer une culture de l'innovation, de sensibiliser les cabinets d'avocats à de nouvelles offres à destination de leurs clients comprenant notamment la mise à disposition de formulaires intelligents (offres freemium), sensibiliser les cabinets d'avocats à développer une stratégie de marque permettant de dépasser le nom des fondateurs et d'assurer le rayonnement du cabinet, créer ou encourager la création d'incubateurs sur le modèle de celui du Barreau de paris, créer au sein de chaque ordre un Observatoire de l'innovation...

Mobilité de l'avocat

Au cours des auditions de la Commission, de nombreux jeunes avocats ont déclaré ne pas avoir pour objectif de s'installer en tant qu'associé ou fondateur de cabinet, d'exercer toute leur carrière dans le même cabinet ou de rester avocat toute leur vie.
Afin de repenser la mobilité de l'avocat à l'extérieur de la profession et le retour de celui-ci dans la profession, le rapport propose d'organiser des Etats Généraux de la Mobilité Professionnelle.
En outre, pour faciliter la mobilité territoriale de l'avocat, il est préconisé de favoriser l'installation dans plusieurs barreaux.
La Commission Haeri propose de mettre en oeuvre la première étape d'une grande profession du droit en réunissant les professions de juristes d'entreprise et d'avocats. C'est l'éternel serpent de mer qu'est l'avocat en entreprise qui ressurgit !
Pour les auteurs du rapport, "la réunion des avocats et des juristes d'entreprise au sein d'une grande profession du droit participe et est la conséquence des évolutions économiques actuelles. Le praticien du droit qu'il soit avocat ou juriste d'entreprise, exerce son métier dans une économie internationale et globalisée, où il se retrouve en concurrence avec des juristes étrangers qui, s'ils travaillent dans une entreprise, bénéficient de la confidentialité de leurs avis."
Par conséquent, la Commission recommande que les avis des juristes d'entreprise soient confidentiels et ne puissent plus être dévoilés et utilisés, notamment lors de procédures judiciaires.  
Enfin, elle propose une nouvelle rédaction de l'article 7 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions juridiques et judiciaires  : "L'avocat peut exercer sa profession soit à titre individuel, soit au sein d'une association dont la responsabilité des membres peut être, dans les conditions définies par décret, limitée aux seuls membres de l'association ayant accompli l'acte professionnel en cause, d'une société civile professionnelle, d'une société en participation prévues par la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, soit en qualité de salarié ou de collaborateur libéral d'un avocat ou d'une association ou société d'avocats ou de salarié d'une entreprise. Il peut également être membre d'un groupement d'intérêt économique ou d'un groupement européen d'intérêt économique."

Les propositions du rapport Haeri sont audacieuses, bien documentées et étayées. Reste à savoir ce qu'en fera la Chancellerie à quelques semaines de l'élection présidentielle et des élections législatives. L'absence de stratégie des institutions est aussi pointée du doigt. Comment ces propositions seront-elles reçues par la profession dont le manque d'unité fait souvent échouer toute velléité de réformes ? 

Arnaud Dumourier (@adumourier)


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