Alain-Christian Monkam, avocat spécialisé en droit social et UK employment Solicitor, responsable de la commission "Paris-Londres" du Barreau de Paris offre au Monde du Droit un éclairage sur les Alternative Business Structures (ABS).
1- Nos amis Anglais apportent, une fois de plus, une innovation d'importance qui pourrait, à terme, révolutionner le monde du droit: les Alternative Business Structures (dits "ABS"). Un ABS est une nouvelle organisation des cabinets de solicitors anglais qui permet :
- à un "non-lawyer" (société ou personne physique) d'être manager ou associé du cabinet
- à un cabinet d'être détenu par un "non-lawyer" à raison d'au moins 10 % de ses parts
2- L'ABS résulte du Part V du Legal Services Act 2007 qui est entré en vigueur le 6 octobre 2011. Il se situe dans une évolution programmée qui avait débuté avec la LDP (Legal Disciplinary Practice) : la LDP, qui résulte aussi du Legal Service Act 2007, permettait déjà aux personnes physiques 'non-lawyer' de disposer de parts sociales d'un cabinet de solicitors ou d'en être manager, les parts détenus étant limitées à 25 %.
L'ABS va plus loin car il ne limite plus la présence des "non-lawyer" aux personnes physiques mais l'ouvre aux sociétés ; de plus, la limite des 25 % est supprimée.
3- Selon la Law Society (Barreau d'England & Wales), un ABS offrirait plusieurs avantages :
- des parts sociales peuvent être attribuées à des salariés "non-lawyer" du cabinet
- des investisseurs extérieurs au monde du droit peuvent investir dans le cabinet
- surtout, l'ABS est censé devenir un modèle de cabinet multiservices permettant à ses membres "non-lawyer" de délivrer des prestations non-juridiques (MultiDisciplinary Practice MDP)
4- A ce jour, la Solicitor Regulation Authority (organe d'admission et de contrôle des solicitors) a accordé 4 licences ABS dont 3 à de modestes cabinets provinciaux de moins de 10 associés.
La 4ème licence est un sujet d'étude intéressant car elle a été accordée à Co-operative Legal Services qui est une filiale de la célèbre chaîne nationale de supermarchés the Co-Operative (laquelle comprend également des services bancaires, d'assurances et même funéraires!). The Co-operative Legal Services se limite actuellement à des prestations en matière de droit de la famille, donation et droit immobilier.
La Solicitor Regulation Authority annonce que 74 demandes de licence sont actuellement en cours d'examen. La société de capital investissement Hamilton Bradshaw (qui a réalisé 600 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2011) a d'ores et déjà révélé qu'il a conclu un accord d'investissement avec l'un des cabinets de solicitors, candidats ABS.
5- Ces exemples démontrent vers quelle(s) révolution(s) les ABS pourraient à terme conduire. Par exemple, si les ABS étaient un jour appliqués en France, nous pourrions imaginer que le groupe Carrefour proposerait des services juridiques aux côtés de l'alimentation, les assurances, les voyages et les carburants...
Toutefois, ce scénario de science-fiction paraît loin d'être réalisable dans un futur proche.
Compte tenu des difficultés évidentes que les ABS posent en terme d'interdiction des sociétés d'avocats de recourir à des capitaux extérieurs, des principe d'indépendance de la profession, d'absence de conflit d'intérêts, le Conseil National des Barreaux a indiqué à plusieurs reprises son opposition aux ABS.
Madame le Bâtonnier de Paris, Christiane Féral-Schuhl, que j'ai accompagnée le 9 mai 2012 à Londres, a rappelé ces principes à John Wotton, alors Président de la Law Society,
6- Un effet de contagion n'est pas cependant à exclure, surtout lorsque les grandes firmes anglaises internationales, disposant de bureaux dans les Etats Européens, seront elles-mêmes candidates ou obtiendront la fameuse licence ABS. Une réflexion est donc à mener dans les années qui viennent.