La Cour de cassation définit les critères applicables à l'obligation de révélation de l'arbitre.
Dans un arrêt remarqué du 1er février 2012, la Cour de cassation a renforcé l’obligation faite à l’arbitre de révéler aux parties tout élément pouvant affecter son impartialité. Cet arrêt a été suivi par une décision du 4 juillet 2012, aux termes de laquelle la Cour de cassation a poursuivi son travail de définition de l’exigence de transparence de la part de l’arbitre, exigence parfois perçue par les praticiens comme excessive.
L’arrêt du 1er février 2012 a également rappelé aux arbitres l’obligation de faire explicitement référence à la prise en considération de l’équité dès lors que la clause d’arbitrage le prévoit.
Ces décisions ont été rendues aux visas des articles du Code de procédure civile (« CPC ») dans leur rédaction antérieure à la réforme du droit de l’arbitrage opérée par le Décret du 13 janvier 2011. Elles conservent toutefois leurs portées sous l’empire du nouveau texte.
La référence obligatoire aux règles d’équité
Dans son arrêt du 1er février 2012, la Cour de Cassation rappelle sa jurisprudence antérieure relative au devoir, et non à la simple faculté, de l’arbitre de statuer en amiable compositeur si les parties lui ont confié cette mission.
En l’espèce, les parties avaient développé devant le tribunal arbitral une argumentation exclusivement juridique, et les arbitres ne s’étaient en conséquence prononcés qu’au regard des règles de droit applicables. Pourtant la clause compromissoire prévoyait que les arbitres devaient statuer en amiables compositeurs.
La Cour d’appel de Bordeaux saisie d’un recours en annulation a tout d’abord validé la sentence, retenant qu’il n’était pas établi que celle-ci violait les règles de l’équité.
La Cour de cassation casse cet arrêt pour souligner que le Tribunal arbitral investi du pouvoir de statuer en équité a l’obligation de « faire ressortir dans sa sentence qu’il avait pris en compte l’équité ».
Cette solution, constante depuis un arrêt du 17 septembre 2008, est désormais formalisée par l’article 1478 nouveau du CPC. Elle n’empêche évidemment pas l’arbitre investi du pouvoir de statuer en équité de se prononcer également au regard des règles de droit mais, comme la Cour suprême l’a rappelé, ce dernier est tenu de statuer conformément à la mission définie par la clause d’arbitrage : la sentence doit donc refléter la prise en compte de l’équité. A noter ici qu’en pratique, le juge étatique saisi d’un recours en annulation de la sentence n’opère qu’un contrôle purement formel de la mention de « l’équité » dans le corps de la sentence.
Transparence de l’arbitre : une définition plus précise et étendue de l’obligation de révélation
L’obligation de transparence des arbitres et ses contours ont fait l’objet, en France, de nombreuses décisions récentes de la Cour d’appel de Paris et de la Cour de cassation et suscitent de vifs débats entre praticiens.
Dans l’affaire ayant fait l’objet de l’arrêt de cassation du 1er février 2012, une entreprise avait confié à une société d’experts en tarification de l’énergie la mission de négocier certains tarifs d’électricité avec la société EDF. Un litige étant survenu entre l’entreprise et ces experts, une procédure d’arbitrage a été engagée, à laquelle EDF n’était pas partie. Or, le président du Tribunal arbitral, qui avait été désigné par le centre d’arbitrage puis accepté par les parties, avait été par le passé le conseil d’EDF dans le cadre de plusieurs contentieux. L’existence de ces liens avec un tiers à l’arbitrage (EDF) n’avait toutefois pas été révélée par l’arbitre aux parties dans le cadre de sa déclaration d’impartialité.
L’arrêt rendu par la cour d’appel de Bordeaux a tout d’abord rejeté le recours en annulation de la sentence pour défaut d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre. Il est toutefois cassé par la Cour de cassation, qui étend ainsi l’obligation de révélation de l’arbitre à ses relations avec des tiers.
Cette « extension », objet de controverses auprès des praticiens s’inquiétant d’un élargissement « excessif » du périmètre du devoir de révélation, paraît néanmoins conforme aux grands principes du droit français, que l’on retrouve également dans la loi-modèle CNUDCI.
Ainsi, le droit français, dans son article 1456 alinéa 2 nouveau du CPC, énonce, reprenant partiellement les termes de la loi- modèle CNUDCI, qu’« il appartient à l’arbitre, avant d’accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d’être regardée comme affectant son impartialité afin d’exercer à bref délai, s’il y a lieu, son droit de récusation ».
Cette obligation est reprise dans des termes proches par la plupart des institutions d’arbitrage. Il n’existe donc pas explicitement de restriction du devoir de révélation aux relations concernant les parties ou leurs conseils.
A titre d’exemple, l’article 11 du règlement d’arbitrage de la CCI impose à l’arbitre de faire connaître à l’institution, à la fois au moment de sa nomination et tout au long de sa mission, « tout fait ou circonstance qui pourraient être de nature à mettre en cause son indépendance dans l’esprit des parties, ainsi que les circonstances qui pourraient faire naître des doutes raisonnables quant à son impartialité ». Cette exigence est présente à l’article 11 du règlement d’arbitrage CNUDCI, à l’article 9 des règles suisses d’arbitrage (version 2012), à l’article 5.2 du règlement de la London Court of International Arbitration (LCIA), à l’article 10.4 du règlement d’arbitrage du Singapore International Arbitration Centre (SIAC), ou encore à l’article 29 du règlement d’arbitrage du China International Economic and Trade Arbitration Commission (CIETAC).
La décision du 1er février 2012, en cassant l’arrêt d’appel, retient une interprétation large – et sans doute élargie pour de nombreux praticiens – des contours de l’obligation de transparence de l’arbitre, en posant expressément que les révélations de l’arbitre ne doivent pas se limiter aux seuls liens qui l’unissent aux parties ou à leurs conseils mais doivent également porter sur les tiers proches des parties et/ou de l’objet du litige. En l’espèce, même si la société EDF n’était pas partie à la procédure, ce sont les relations entre EDF et la demanderesse qui étaient l’objet du contrat ayant donné lieu à l’arbitrage. Les liens avec la société EDF étaient donc pertinents et devaient faire l’objet d’une révélation. La Cour suprême en conclut que l’arbitre a manqué à son obligation de transparence en ne révélant pas avoir longtemps été le conseil de la société EDF.
A l’avenir, la jurisprudence devra préciser les tiers vis à vis desquels l’arbitre doit révéler l’existence de liens pour que son obligation de transparence soit respectée et la nature même de ces liens. A défaut, l’obligation de révélation serait excessivement étendue et perdrait tout sens.
Une réponse partielle à cette inquiétude semble avoir été apportée par la Cour de cassation le 4 juillet 2012. La Cour de cassation a en effet fermement rejeté le fait que la participation d’un arbitre à un colloque organisé par un tiers, même notoirement opposé à l’une des parties à l’arbitrage, auquel la partie adverse et son conseil étaient aussi présents, puisse être considéré comme un manquement à l’obligation de révélation.
Certains auteurs verront peut-être dans cet arrêt une « prise de conscience » qu’une vision trop extensive de l’obligation de transparence des arbitres pourrait paralyser le déroulement de l’arbitrage, certaines parties se saisissant de tout acte ou événement pour remettre en cause l’exercice de sa mission par l’arbitre ou la validité de la sentence, alors qu’aucune difficulté ne serait caractérisée ?
Cela ne paraît pas certain, et la multiplication depuis 2008 des arrêts traitant de l’indépendance de l’arbitre tendrait à prouver plutôt le contraire, la limite apportée récemment n’étant qu’un garde-fou raisonnable et non, à notre avis, un revirement par rapport aux tendances récentes observées.
Marie Danis - Associé - August & Debouzy
Carine Dupeyron - Counsel - August & Debouzy