Le 11 septembre 2019, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu six arrêts répondant à des interrogations de principe concernant la répression des infractions de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale. L’un d’entre eux concerne plus spécifiquement la répression de ce délit et le mode de calcul de l’amende dont il est passible (Cass. Crim., 11 sept. 2019, n°18-81.040).
Le blanchiment d’un crime ou d’un délit est défini par l’article 324-1 du Code pénal comme le "fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect [ou] d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit".
Il résulte de la lecture combinée des articles 324-1 et 324-3 du Code pénal que le législateur a offert la possibilité aux juridictions répressives, en matière de blanchiment, de choisir entre une amende dont le montant maximal est fixe, plafonné à 1,875 millions d’euros pour les personnes morales, ou un pourcentage représentant au maximum la moitié de la valeur des biens ou des fonds objets du blanchiment (multiplié par 5 pour les personnes morales).
Compte tenu du montant considérable des amendes encourues, la formulation de l’article 324-3 du Code pénal avait généré une certaine incertitude quant à l’assiette de l’amende proportionnelle en matière de blanchiment de fraude fiscale : l’assiette est-elle constituée par la totalité des sommes considérées comme dissimulées à l’administration fiscale ou seulement par les fonds correspondant au produit de la fraude fiscale (c’est-à-dire le montant de l’impôt éludé) ?
Certains jugements récents, à l’instar de celui du Tribunal de grande instance de Paris dans l’affaire UBS rendu le 20 février dernier, avaient considéré que l’assiette de la peine d'amende proportionnelle s'entend de la valeur de l'objet de l'infraction d'origine, c’est-à-dire du patrimoine non déclaré dans son intégralité (TGI Paris, 20 février 2019, n°11055092033, appel en cours). C’est ainsi que les juges ont condamné la banque UBS au paiement d’une amende de 3,7 milliards d’euros pour blanchiment aggravé, un tel montant étant rendu possible par l’assiette ainsi élargie et par le coefficient multiplicateur de 5 applicable aux peines d’amende encourues par les personnes morales.
Cette position était critiquée par une partie de la doctrine qui soulignait que le profit d'une fraude fiscale ne se traduit généralement pas par une recette mais plutôt par une économie de l'impôt dû par le contribuable, cette économie correspondant au produit de la fraude fiscale susceptible de blanchiment.
Aux termes de l’arrêt du 11 septembre dernier, la Cour de cassation a clarifié la situation et jugé qu’en matière de blanchiment de fraude fiscale, l’assiette de l’amende ne peut être calculée qu’en prenant pour base le montant du produit direct ou indirect de l’infraction, c’est-à-dire le montant de l’économie qu’a permis de réaliser la fraude fiscale préalable.
Dans l’affaire d’espèce, le requérant avait notamment été condamné à une amende d’1 million d’euros pour blanchiment de fraude fiscale, l’amende prononcée étant proportionnelle aux sommes non déclarées à l’administration fiscale. Il avait alors fait valoir devant la Cour de cassation que la cour d’appel ne pouvait retenir comme base de calcul l’intégralité des sommes considérées comme dissimulées, seuls pouvant être pris en considération les fonds correspondant au produit de la fraude fiscale, c’est à dire aux droits éludés. Celle-ci a suivi ce raisonnement et considéré que le montant de l’impôt éludé (235.580 euros) était l’assiette de calcul applicable pour l’amende proportionnelle, ramenant le montant maximal de l’amende encourue, non pas à 3,75 millions d’euros (c’est-à-dire la moitié des sommes dissimulées à l’administration fiscale) mais à 375.000 euros, montant maximal de l’amende fixe prévue par l’article 324-1 du code pénal pour les personnes physiques.
Cet arrêt a donc le mérite de clarifier, dans une discipline en évolution, la question du mode de calcul de l’amende proportionnelle encourue en cas de blanchiment de fraude fiscale. Il devrait peser dans les procédures futures en matière de blanchiment.
Kami Haeri, Avocat Associé et Malik Touanssa, Avocat, Quinn Emanuel