Depuis plusieurs années, la rupture conventionnelle individuelle s’est imposée comme un mode de rupture prisée aussi bien des employeurs que des salariés. Ce mode de rupture amiable réservé aux contrats de travail à durée indéterminée, introduit par la loi du 25 juin 2008, a vu son nombre croître de plus de 8% en 2017, 3,9% en 2018, pour se chiffrer à 437.700 homologations(1) au titre de l’année 2018. Cependant, malgré une simplicité affichée tant sur le fond que sur la forme, la rupture conventionnelle individuelle continue de susciter des interrogations et à alimenter la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation.
Inscrite aux articles L. 1237-11 et suivants du code du travail, la rupture conventionnelle individuelle est à ce jour le mode de rupture amiable dont le succès a été le plus fulgurant. Sa facilité apparente est pourtant nuancée par l’intervention de l’autorité administrative qui joue un rôle décisif dans la procédure de rupture du contrat de travail. Ainsi, la rupture conventionnelle individuelle est autorisée par l’inspection du travail pour les salariés protégés alors qu’elle est simplement homologuée par l’autorité administrative pour les salariés sans statut protecteur.
Les chiffres et la jurisprudence abondante illustrent le fait que les salariés concernés n’hésitent pas à remettre en cause la convention de rupture conventionnelle à laquelle ils ont pourtant consenti. Dès lors, la Cour de cassation est régulièrement amenée à préciser les contours de la mise en place de la rupture conventionnelle individuelle et à sanctionner les employeurs.
Une souplesse apparente du recours à la rupture conventionnelle individuelle…
Soumise aux conditions de validité des conventions de droit civil, notamment un consentement non vicié, la rupture conventionnelle individuelle est en principe exempte de pression ou de contrainte. Au fil des années, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser qu’une convention de rupture peut valablement être signée dans un contexte conflictuel (2), de maladie ou de harcèlement moral (3), sans entraîner de facto la nullité de la rupture.
Par ailleurs, bien que le code du travail interdise de recourir à la conclusion de rupture conventionnelle en vue de contourner les dispositions légales applicables aux licenciements économiques collectifs, dans les faits l’administration accepte l’homologation de telles rupture conclues dans un contexte de difficultés économiques (4). Ainsi, cette procédure ne peut pas être utilisée pour éviter d’appliquer les règles de licenciement économique collectif et priver les salariés des garanties qui y sont attachées. À ce propos, l’administration considère qu’une entreprise ou un groupe rencontrant des difficultés économiques et ayant massivement recours à des ruptures conventionnelles individuelles (10 sur une période de 30 jours) est susceptible de contourner la procédure de licenciement économique et notamment la mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi (5).
En outre, la jurisprudence a récemment levé le doute sur la question du recours à la rupture conventionnelle individuelle lorsqu’un salarié a été déclaré inapte à la suite d’un accident du travail (6). La Chambre sociale a ainsi admis la validité d’une rupture conventionnelle individuelle conclue dans une telle situation, à l’exception des cas de fraude ou de vice du consentement. Néanmoins, dans ce cas, pour homologuer la rupture, l’inspection du travail veille à ce que le salarié bénéficie d’une indemnité de rupture au moins égale au montant des indemnités prévues en cas de licenciement pour inaptitude professionnelle.
Une Cour de cassation toujours plus exigeante !
Pourtant, la Chambre sociale de la Cour de cassation s’est récemment illustrée dans un registre plus rigoureux à l’égard des entreprises, en encadrant strictement les conditions entourant la conclusion d’une rupture conventionnelle.
Ainsi, les juges de la Haute Juridiction ont relevé l’importance du respect du formaliste de la procédure de cette rupture amiable. Alors que la loi elle-même est silencieuse sur ce point, la Cour de cassation exige que l’employeur remette un exemplaire de la convention de rupture au salarié au moment de sa signature (7). De cette façon, la nullité de la rupture du contrat de travail sera encourue lorsque l’exemplaire de la convention n’a pas été remis directement au salarié (8) ou lui a été adressé après la rupture de son contrat de travail (9). Dans la même perspective, une convention de rupture qui ne mentionnerait pas la date de la signature rend la rupture du contrat de travail nulle dans la mesure où elle ne permet pas de déterminer le point de départ du délai de rétractation (10).
La question des délais est d’ailleurs, elle aussi épineuse car il s’agit d’un point crucial de validité qui sera observé par l’inspection du travail. Du reste, elle continue d’alimenter la jurisprudence. La Cour de cassation a précisé que le droit de rétractation des salariés s’apprécie à la date d’envoi de la lettre de rétractation et non à la date de réception par l’employeur (11). La Chambre sociale a également étendu cette solution à l’employeur (12).
En terme de preuve, il est donc fortement recommandé d’être particulièrement vigilent.
En dépit de son succès, la rupture conventionnelle n’est pas une solution infaillible et est régulièrement remise en cause devant le juge judiciaire. En effet, le Conseil de prud’hommes est compétent pour apprécier la validité d’une rupture homologuée du contrat de travail d’un salarié non protégé et la requalifier, le cas échéant, en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le salarié a alors droit aux indemnités de rupture et dommages et intérêts prévus dans ce cas. Les conséquences financières pour l’entreprise peuvent donc être conséquentes, notamment au regard de l’âge, l’ancienneté et la situation personnelle du salarié concerné.
À chacune des étapes de la procédure de ce mode de rupture amiable du contrat de travail, la vigilance est donc de rigueur. D’autant plus que la validité de la convention de rupture individuelle peut être contestée pendant un an après son homologation !
Par Christine Artus, associée, Anne Ragu, collaboratrice, cabinet K&L Gates
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[1] DARES RÉSULTATS, Ministère du travail, février 2019 n°008.
[2] Cass. soc. 15 janvier 2014, n°12-23.942.
[3]Cass. soc. 23 janvier 2019, n°17-21.550.
[4] Instr. DGT n°02 du 23 mars 2010
[5] Cass. soc. 9 mars 2011, n°10-11.581.
[6] Cass. soc. 9 mai 2019, n°17-28.767.
[7] Cass. soc. 6 février 2013, n°11-27.000.
[8] Cass. soc. 7 mars 2018, n°17-10.963.
[9] Cass. soc. 26 septembre 2018, n°17-19.860.
[10] Cass. soc. 27 mars 2019, n°17-23.586.
[11] Cass. soc. 14 février 2018, n°17-10.035.
[12] Cass. soc. 19 juin 2019, n°18-22.897.