La démocratie victime du coronavirus

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Shérazade Zaiter, juriste d’affaires international et doctorante en droit public à l’Université de Limoges, livre son analyse sur les choix politiques pris par le Gouvernement français pour lutter contre l'épidémie de coronavirus et leurs conséquences sur la démocratie.

La crainte de la mort résultant d’un virus se propageant inexorablement sur l’ensemble de la planète a, en France, eu pour conséquence immédiate la mise en place d’une abondante législation. Particulièrement intrusive et répressive, elle est censée nous protéger...

Le Covid-19 a été déclaré « pandémie mondiale »1 par l’Organisation Mondiale de la Santé le 11 mars 2020, qui a aussitôt demandé aux chefs d’États et de gouvernement de prendre des mesures de protection essentielles pour prévenir la saturation des services de soins intensifs et de renforcer l’hygiène préventive.

Le gouvernement français a choisi une stratégie politique visant à une diminution progressive du nombre de cas, de manière à éviter la saturation des établissements hospitaliers et ce jusqu’à ce qu’un vaccin soit trouvé. Pour espérer y parvenir, il a eu recours à tout un arsenal juridique afin de limiter, dans la mesure du possible, les contacts humains.

Il en découle une « inflation » de textes (plus de 150 publiés, suite au discours présidentiel du 16 mars 2020 prononçant le confinement obligatoire !), dont l’un des premier a été le décret n°2020-264 du 17 mars portant création d’une contravention réprimant la violation des mesures destinées à prévenir et à limiter les conséquences des menaces sanitaires graves sur la santé de la population, qui fait suite au décret n°2020-260 du 16 mars portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19.

Pourquoi tant de textes de loi?

Est-ce parce que « nous sommes en guerre » comme l’a martelé le Président Emmanuel Macron lors de son discours du 16 mars qu’il faut mettre en place un arsenal juridique ?

 « Le droit et la loi, telles sont les deux forces ; de leur accord naît l'ordre, de leur antagonisme naissent les catastrophes. Le droit parle et commande du sommet des vérités, la loi réplique du fond des réalités ; le droit se meut dans le juste, la loi se meut dans le possible ; le droit est divin, la loi est terrestre. Ainsi, la liberté, c'est le droit ; la société, c'est la loi.

 (…) Le droit et la loi contestent sans cesse ; et de leur débat, fréquemment orageux, sortent, tantôt les ténèbres, tantôt la lumière » disait Victor Hugo en 1875.

Si l’État détient le monopole de la violence légitime comme l’affirmait Max Weber, alors la crise sanitaire que nous traversons n’a fait qu’accroitre ce type de violence. Quand le confinement est devenu obligatoire et que les infractions à ces restrictions sont sanctionnées par des amendes allant de 135€ jusqu’à six mois d’emprisonnement, 3 750 € d’amende avec suspension pendant trois années du permis de conduire, il est permis de se le demander.

Les sanctions pénales pour non-respect des autorisations de sortie vont prendre fin dans quelques jours avec le dé-confinement mais d’autres sanctions pénales se préparent…

Cette surabondance de textes de lois montre les limites de notre conception de la démocratie et ne peut qu’encourager la violence dans une partie de la société qui se considère comme exclue. Cette population qui habite dans les quartiers prioritaires urbains et qui sont les plus durement touchés par les mesures sécuritaires et restrictives prises par le gouvernement. Nous voyons alors une explosion de violences dans les banlieues et une recrudescence de répression policière.

Des mesures sécuritaires sont renforcées, justifiées par le non-respect du confinement par ces « citoyens » désobéissants que la société se doit de remettre dans le droit chemin. Le discours de certains politiques stigmatise les habitants de ces quartiers, en augmentant le sentiment de peur et de défiance que les citoyens respectueux des lois peuvent avoir à leur égard. Cette peur de l’autre est en grande partie à l’origine de cette dérive sécuritaire.

La démocratie pour être effective doit accepter tous ceux qui vivent sur le même territoire. La violence constitue la preuve de l’échec de toute démocratie qui distingue ses propres citoyens. Quand les habitants ne se sentent plus représentés, ils n’ont alors d’autre choix que de manifester et le plus souvent, de façon violente. 

 L’État aurait donc tout intérêt à renouer avec les classes populaires, avec ses banlieues, non pas en augmentant les mesures sécuritaires, mais en améliorant ses institutions publiques : écoles, cultures, emplois ….

Comparer cette pandémie à une guerre n’est-ce pas une façon de légitimer les dérives sécuritaires entrainant des violences de plus en plus nombreuses ?

Lorsqu’en 1665 une épidémie de peste s’abattit sur Londres faisant près de 100 000 morts cela eu pour conséquence d’augmenter l’empathie entre les citoyens. L’écrivain Daniel Defoe raconte dans Le journal de l’année de la peste « qu’une autre année de peste réconcilierait toutes ces querelles ; des rapports assez proches de la mort ou avec certaines maladies menaçant de mort écumeraient l’amertume de nos humeurs, feraient disparaitre nos animosités mutuelles et nous feraient voir les choses d’un œil tout différent. »

Pendant les guerres, c’est tout le contraire qui se passe et les hommes assassinent leurs semblables par milliers sans que cela suscite le moindre sentiment d’empathie. Si nous sommes en guerre, les différences sociales seront plus flagrantes et le chacun pour soi devient la loi.

Si nous luttons tous ensemble pour préserver notre santé, les moyens juridiques mis en place doivent servir à renforcer les liens entre les gens, à apaiser les tensions et les inégalités sociales car la maladie ne fait pas de distinction et touche de la même façon tout le monde.

Le choix des mots montre son importance dans le traitement de cette crise sanitaire, et ce choix est avant tout politique.

Pour reprendre Albert Einstein pour qui « Une nouvelle manière de penser est nécessaire si l’humanité veut survivre. », il me semble qu’une nouvelle manière de voir la société est nécessaire si la démocratie veut survivre.

Shérazade Zaiter, Juriste d’affaires international, Doctorante en droit public à l’Université de Limoges.



1. Les pandémies se caractérisent par des taux de contagiosité de la maladie élevés et par une propagation exponentielle, c’est-à-dire par la survenue d’un très grand nombre de cas en peu de temps.


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