Saisie de la valeur de rachat des contrats d’assurance-vie donnés en nantissement par le comptable public : le glas vient-il d’être sonné par la Cour de cassation ?

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Jefferson Larue, avocat associé au sein du cabinet Arst Avocats, revient sur les récents arrêts de la Cour de cassation relatifs à la valeur de rachat des contrats d'assurance-vie donnés en nantissement par le comptable public.

Par deux arrêts du même jour rendus au visa des articles 2363 du code civil et L.132-10 du code des assurances, la Cour de cassation vient de consacrer la primauté du nantissement du contrat d’assurance-vie rachetable sur la privilège général que le Trésor Public tire de l’article 1920 du code général des impôts, mettant provisoirement fin au débat sur le caractère saisissable ou non de la valeur de rachat des contrats donnés en nantissement préalablement à l’émission par le comptable public d’un avis à tiers détenteur visant à s’en faire attribuer la valeur de rachat, au détriment du créancier nanti.

Il y a un peu plus d’un an, le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Paris, suivi en cela par la cour d’appel, avait jugé que le comptable public était en droit de se faire attribuer la valeur de rachat de contrats d’assurance-vie rachetables, au motif que le privilège général de l’article 1920 devait primait le nantissement, pourtant préalable, de ce même contrat.

Nous avions dénoncé dans ces colonnes les distorsions qu’une telle solution produisait sur certains principes de notre droit, tel celui selon lequel on ne peut avoir plus de droits que son propre débiteur, ainsi que la contradiction qu’elle renfermait par rapport à la propre doctrine de l’administration fiscale1, réaffirmée depuis2 selon laquelle le nantissement fait obstacle à l’attribution de la valeur de rachat, ainsi que par rapport aux conséquences que la Cour de cassation déduit de la renonciation au droit de demander le rachat du contrat (ce qui est presque systématiquement le cas en présence d’un nantissement)3, y compris, sur le plan fiscal, pour le calcul de certains impôts4.

Saisie de deux des décisions de la cour d’appel de Paris ayant affirmé la primauté du privilège du trésor public sur la protection conférée par le nantissement du contrat d’assurance-vie, la Cour de cassation avait enfin l’opportunité de répondre de manière directe à la question de la saisissabilité de la valeur de rachat et, par la même occasion, de préciser les effets que produit le nantissement, dont l’article L.132-10 du code des assurances indique seulement que, sauf clause contraire, il permet au créancier nanti de « provoquer le rachat nonobstant l'acceptation du bénéficiaire ».

Aux termes de deux arrêts, rédigés selon les nouvelles normes que la Cour de cassation adopte désormais, la deuxième chambre civile énonce que « le créancier bénéficiaire d’un nantissement de contrat d’assurance vie rachetable, qui peut provoquer le rachat, dispose d’un droit exclusif au paiement de la valeur de rachat, excluant ainsi tout concours avec les autres créanciers du souscripteur, même privilégiés »5.

En d’autres termes, le trésor public, bien que titulaire d’un privilège qui prime tous les autres, ne peut pas se faire attribuer la valeur de rachat de contrats d’assurance-vie dont le nantissement préalable a dépossédé le souscripteur du droit d’en demander le rachat.

D’aucuns regretteront que la Haute Juridiction n’ait pas affirmé de manière plus explicite l’effet « dépossédant » du nantissement.

Il demeure qu’en excluant « tout concours » entre le créancier nanti et les autres créanciers privilégiés, elle fait sortir la créance de rachat de « l’assiette » des privilèges et l’on mal comment cela pourrait s’expliquer autrement que par le fait que le nantissement fait, « sauf disposition contraire », sortir la créance de rachat du patrimoine du souscripteur. 

Les compagnies d’assurance sont-elles pour autant à l’abris d’une nouvelle vague de saisies administratives à tiers détenteur ?

Comme disait Machiavel, pour prévoir l’avenir, il faut connaitre le passé. Or celui-ci nous enseigne que législateur n’hésite pas, parfois, à modifier la loi pour faire échec à la jurisprudence de la Cour de cassation. La loi du n°2013-1177 du 6 décembre 2013 rendant « saisissable » le contrat d’assurance-vie fut justement votée à cette fin !

L’histoire n’est donc peut-être pas finie…

Jefferson Larue, Avocat Associé, Arst Avocats

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1. BOFPI du 28 août 2017, REC – Mise en œuvre du recouvrement- Avis à tiers détenteur- Effets, §366

2. BOFPI du 27 novembre 2019, REC – Mise en œuvre du recouvrement- Avis à tiers détenteur- Effets, §210

3. Cass. Com., 9 juillet 2015, pourvoi n°15-40017

4. Cass. Com., 12 décembre 2018, pourvoi n°17-20.913

5. Cass. Civ., 2ème, 2 juillet 2020, pourvois n°19-11.417/19-13.636 et n°19-10.308


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