A l’occasion des Rendez-vous des transformations du droit, la plénière d’ouverture du 18 novembre 2021 était consacrée au potentiel de la donnée appliqué aux domaines du droit et de la justice. Retour sur les échanges.
En introduction de la table ronde sur le potentiel de la donnée appliquée aux domaines du droit et de la justice, Marie Bernard, vice-présidente pour les communs d’Open Law, a rappelé que depuis quelques années les différents acteurs du domaine du droit et de la justice s’intéressent aux différents aspects de la donnée. Le rapport Bothorel a permis de dresser un état des lieux de la politique de la donnée et proposé des recommandations afin de procéder à une plus grande ouverture des données.
Dans la même perspective, une circulaire du Premier ministre du 27 avril 2021 relative à la politique publique de la donnée, des algorithmes et des codes sources demande à chaque pôle ministériel de s’organiser pour produire des données ouvertes et les exploiter, travailler sur des codes sources et des algorithmes.
Le droit fait partie des secteurs de l’économie française les plus impactés par l’IA
Renaud Vedel, Coordonnateur de la stratégie nationale pour l'intelligence artificielle (IA) au ministère de l'Economie, des finances et de la relance, explique que l’intelligence artificielle est une technologie d’usage général, c’est-à-dire « une logique qui peut se diffuser et changer beaucoup de modes de production ». Un rapport de 2019 de la DGE a identifié 15 secteurs de l’économie française les plus impactés par l’IA dont la legaltech. Les dernières évolutions grâce à de nouvelles technologies telles que les « transformers » permettent des progrès importants dans le traitement automatique du langage. Ainsi, beaucoup d’avancées dans l’aide à l’analyse de documents pourraient être utilisées dans le domaine du droit, explique Renaud Vedel.
Par exemple, l’IA pourrait être utilisée pour des outils à la lecture de productions sémantiques du droit mais de manière générale pour aider les professionnels du droit.
Exploiter son patrimoine numérique
Au ministère de la Justice, les données traitées sont des données textuelles qui figurent dans les procédures, les décisions de justice produites dans des systèmes d’information qui sont anciens. Sans les nouveaux outils, il n’est pas possible d’exploiter ces données. « Aujourd’hui, il existe une opportunité de pouvoir exploiter les décisions de justice avec l’intelligence artificielle pour identifier des dates, des lieux, des montants d’indemnisation » explique Anne-Florence Canton, Cheffe du service numérique du ministère de la Justice et Administratrice ministérielle de la donnée, des algorithmes et des codes-source (AMDAC). L’objectif du ministère de la Justice est de pouvoir faire des outils d’aide à la décision, des applications de jurimétrie ou encore de l’aide au travail au quotidien (ne pas être obligé de ressaisir des données, être capable de sortir des données automatiquement des textes…).
Par ailleurs, l’ambition est de pouvoir à l’avenir structurer les données de manière à mieux pouvoir les exploiter pour produire de nouveaux produits numériques.
Quelles utilisations de l’IA ?
Pierre-Antoine Chevalier, Responsable du pôle données à Etalab (DINUM), évoque trois cas d’usage pour lesquels Etalab a accompagné les administrations :
- l’open data des décisions de justice avec des algorithmes d’intelligence artificielle qui détectent dans les décisions de justice les éléments à occulter pour pouvoir assurer la diffusion. L’open data des décisions de justice est la première réalisation concrète du ministère de la Justice pour ouvrir les données du ministère. Avec la nécessité de pseudonymiser les décisions de justice, il faut utiliser des algorithmes, des codes-source.
« L’idée est de monter en puissance de façon progressive pour atteindre 20.000 à 2 millions décisions de justice annuelles d’ici 2025 » explique Anne-Florence Canton. Une fois ce défi relevé, il faudra étudier comment on réutilise ces données.
- expérimentation avec le Conseil d’Etat : un algorithme détecte les contentieux avec les mêmes questions de droit. Il permet d’extraire les moyens, les conclusions et identifient ceux qui sont similaires. A ce stade, cela fonctionne mieux sur les conclusions. Cela pourrait permettre de mieux affecter les contentieux.
- expérimentation avec la Cour de cassation : travaux menés avec l’INRIA pour détecter les divergences dans les décisions, donner des titres aux décisions à partir des résumés ou des sommaires afin de pouvoir regrouper les décisions qui traitent des mêmes questions.
Ces expérimentations montrent le potentiel de l’utilisation de la donnée dans le domaine de la justice.
Au ministère de la Justice, on réfléchit notamment à utiliser l’IA en matière de divorce.
La CAF a mis à disposition du ministère une interface dans laquelle les greffiers saisissent des données. Avec les nouveaux outils, on peut pourrait par exemple extraire automatiquement des décisions de divorce les données utiles pour la CAF. Le projet Datajust en matière de préjudice corporel a permis d’identifier une quarantaine de facteurs déterminants. Dans le cadre de la procédure pénale numérique, l’objectif est de fournir le maximum d’outils aux magistrats pendant l’audience pour présenter les données d’une affaire de « manière la plus aidante » (identifier les dates et les lieux, construire des interactions entre les personnes et les lieux…).
Vers une génération de juristes informaticiens ?
« En termes de ressources, il y a un saut technologique à accomplir » estime Renaud Vedel.
Il manque des infrastructures, des systèmes de traitement juridiques qui soient aux normes.
En effet, toutes les normes juridiques ne sont pas présentées dans un format calculable, tout n’est pas encore bien dématérialisé.
Par ailleurs, il considère qu’il y a un enjeu de créer une génération de juristes informaticiens - même si tout juriste n’a pas vocation à être juriste informaticien - et de créer des filières, des masters, des doctorats dans les domaines de l’IA. « Il faut hybrider les parcours et les profils. Dans une société numérisée, il n’est plus possible de ne pas avoir de cours en informatique ».
Enfin, « on aurait besoin en France de créer une plateforme réunissant des praticiens du droit, des universitaires, des informaticiens et aussi des praticiens administratifs ».
Arnaud Dumourier (@adumourier)
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