Loi Hamon et loteries publicitaires : défaire et refaire, pour ne rien faire…

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etienne petit_mathieuAdopté en deuxième lecture par l’Assemblée nationale le 16 décembre dernier, le contenu du projet de loi Hamon sur la consommation ne devrait plus beaucoup changer. Son article 72 quarter consacré aux loteries non plus. Quel dommage pourtant !

Passons sur sa première partie qui reformule l’article L. 322-2 du Code de la sécurité intérieure interdisant les loteries de toute espèce en intégrant dans la définition initiale de la loi de mai 1836 les apports d’un siècle et demi de jurisprudence. Passons aussi sur le nouvel article L. 322-2-1 qui assimile aux loteries les jeux de savoir-faire : en retenant, le 17 janvier 2013, que le poker ne pouvait pas être assimilé à un jeu de hasard, la Cour d’appel de Toulouse avait suscité une certaine émotion que ce nouvel article devait  apaiser. Mais la Cour de cassation a déjà réagi en jugeant que  le poker Texas Hold’hem, du poker Omaha ou le rami-poker étaient bien des jeux de hasard où la chance prédomine sur l’habileté et les combinaisons de l’intelligence (Cass. crim., 30 oct. 2013, n° 12-84784).

Concentrons-nous plutôt sur les modifications apportées aux dispositions du Code de la consommation concernant la section « Loteries publicitaires ». Une section partiellement réécrite, mais pour la confusion de tous. Après les récentes déclarations du ministre de l’Economie qui attestaient qu’il n’avait toujours pas compris que le droit avait changé (Rép. min. Sénat, 22 oct. 2013, p. 11071), les propos tenus par son ministre en charge de la Consommation dans la nuit du 10 décembre 2013, qui reconnaissait que nous ne pouvions plus « aller plus loin que ce que prévoit » la directive Pratiques commerciales déloyales de mai 2005, pouvaient laisser espérer, qu’enfin, le message avait été compris. Et bien non !

A Marseille, on dit de celui qui s’obstine qu’il « s’engagne » et de celui qui travaille sans connaître son sujet qu’il est un « bacala ».

Les nouveaux articles L. 121-36 et L. 121-36-1 du Code de la consommation

En énonçant que « les pratiques commerciales mises en œuvre par les professionnels sous la forme d’opérations promotionnelles tendant à faire naître l’espérance d’un gain attribué à chacun des participants, quelles que soient les modalités de tirage au sort ou d’intervention d’un élément aléatoire, sont régies par la présente section », le champ d’application du texte semble étendu.

En réservant l’autre condition originelle tenant à l’exigence d’une opération « réalisée par voie d’écrit » à une sous-catégorie particulière de loterie, le nouvel article L. 121-36 est sans doute destiné à devenir le texte de référence pour toutes les opérations promotionnelles à caractère aléatoire destinées à des consommateurs. Le nouvel article L. 322-2-2 du CSI l’indique d’ailleurs en énonçant que l’interdiction des loteries ne « recouvre pas les opérations publicitaires mentionnées à l’article L. 121-36 du Code de la consommation ».

Certes, mais ce texte pose une condition de trop : la pratique doit tendre « à faire naître l’espérance d’un gain attribué à chacun des participants ». Seront donc seules concernées les loteries 100 % gagnant, avec des premiers lots de valeur et une multitude de lots mineurs, le plus souvent constitués de bons de réduction à valoir pour un nouvel achat du produit porteur de l’offre.

La participation à ces loteries pourra être liée à un achat si la pratique est loyale (nouvel article L. 121-36-1, al. 2), ce qui est superfétatoire puisque l’exigence de loyauté s’impose pour toutes les pratiques commerciales.

Les participants pourront avoir à supporter des frais de participation, mais seulement des frais d’affranchissement, de communication ou de connexion non surtaxés, à condition que le règlement de l’opération ait prévu leur remboursement et que les participants en aient été préalablement informés (nouvel article L. 121-36-1, al. 1). Deux obligations - rembourser et informer – imposées pour une pratique commerciale qui n’est pas réputée déloyale par la Directive PCD de 2005. Donc, deux obligations qui ne sont pas conformes à ce texte qui, on commence à le savoir, interdit d’adopter ou de maintenir des interdictions générales qui vont au-delà des règles qu’elle a définit. C’est aussi le cas des dispositions d’encadrement puisqu’une obligation positive se transforme en interdiction lorsqu’elle est méconnue.

Rien, en revanche, sur l’interdiction d’exiger du participant désigné gagnant qu’il ait à supporter le moindre coût, pas même l’achat d’un timbre poste ou le coût d’une communication téléphonique ordinaire, pour  connaître la nature de sa dotation ou en prendre possession. Les apports de la CJUE, même essentiels à l’interprétation de la directive PCD de 2005 qui constitue désormais notre droit commun et harmonisé de la communication commerciale, restent désespérément étrangers à notre Parlement (CJUE 18 oct. 2012, C-428/11).

Le nouvel article L. 121-37 du Code de la consommation

Cet article concerne les loteries visées à l’article L. 121-36, donc celles qui tendent « à faire naître l’espérance d’un gain attribué à chacun des participants », mais qui en plus sont réalisées « par voie d’écrit ».

Dans ce cas, sont reprises les exigences datant de la loi du 23 juin 1989 concernant les « sweeptakes » : bulletin de participation distinct de tout bon de commande, aucune confusion avec un document officiel ou un article de presse, inventaire des lots avec indication de leur valeur, mention du dépôt du règlement chez un huissier, etc.

Sans revenir sur l’interprétation de la notion « d’écrit » qui, pour certains, visait tous les supports papiers (correspondances et publipostages, annonces dans la presse, tracts et prospectus, documents insérés dans l'emballage de produits), mais pas les supports informatiques ou de communication audiovisuelle, les affiches et publicités sur les lieux de vente ou le conditionnement de produits portant l'annonce d'une loterie promotionnelle (Mémento Concurrence Consommation 2013-2014, n° 44380), alors qu’il serait plus logique de la limiter à la notion de « correspondance écrite », ce que visait la loi de 1989, là encore, c’est la question de la conformité même de cet encadrement à la directive PCD de 2005 qui est posée. Et la réponse s’impose : s’agissant d’une pratique commerciale qui n’est pas réputée déloyale per se, elle ne peut plus faire l’objet, ne serait-ce qu’au travers de textes d’encadrement, de règles plus contraignantes que celles définies par la directive.

En conclusion, sur ce sujet, la loi Hamon ne va que compliquer la compréhension d’un droit qui est de moins en moins lisible et compréhensible. Certes, elle s’inscrit dans la lignée de la loi de simplification du droit de mai 2011 qui se contentait de mettre des rustines sur un pneu éclaté (E. Petit, Promotion des ventes : une loi de simplification pour tout compliquer !, LPA 23 mai 2011, p. 4).

Et on peut le regretter pour au moins deux raisons :

-       d’une part, le projet de loi Hamon était l’occasion de mettre notre droit de la promotion en conformité, sans attendre d’y être contraints par la CJUE à un recours en manquement, comme cela nous attend (Dalloz actu, 4 déc. 2013). Que faudrait-il faire ? Pas grand chose : supprimer cette section du Code de la consommation consacrée aux loteries publicitaires, abroger l’arrêté du 31 déc. 2008 sur les annonces de réduction chiffrées, préciser à l’article L. 442-2 du Code de commerce que l’interdiction de la revente à perte ne s’applique pas dans le cadre d’une pratique commerce en BtoC, abroger notre réglementation des soldes saisonniers, etc.

-       d’autre part, le droit de la promotion est avant tout pratiqué par des opérationnels – chefs de produits, collaborateurs d’agences, centres de gestion, etc. – qui ne sont pas des juristes et souvent sont justes animés par le soucis de bien faire. Alors, leur proposer un droit lisible serait quand même la moindre des choses.

A Marseille, toujours, rater une occasion se dit « faire le loup ». Espérons qu’il ne faille pas « cents ans de dimanches » avant d’en prendre conscience.


Etienne Petit, juriste au sein du cabinet Mathieu & Associés


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