Le Conseil constitutionnel a tranché : l’associé d’une SAS peut être tenu de céder ses actions en application d’une clause d’exclusion statutaire à laquelle il n’a pas consenti, sans que cela ne constitue une atteinte à son droit de propriété. *Mireille Mull-Jochem, associée chez De Gaulle Fleurance, décrypte cette décision du Conseil constitutionnel.
Le contexte
Un salarié et associé d’une société de gestion de portefeuille démissionne de ses fonctions fin 2020. Les statuts de la société stipulaient que la qualité d’associé est réservée aux personnes ayant la qualité de salarié et/ou mandataire social de la société et qu’en cas de perte de cette qualité par l’associé, le Président de la société doit convoquer une AGE des associés afin qu’elle se prononce sur l’exclusion. Dans sa version initiale, les statuts précisaient que l’associé dont l’exclusion est envisagée ne prend pas part au vote sur la décision de son exclusion.
Début 2021, l’AGE des associés modifie les statuts de la société (aux conditions requises par les statuts pour les modifications statutaires) afin de rétablir le droit de vote de l’associé dont l’exclusion est envisagée et dans la même assemblée, exclut l’associé en application des statuts modifiés. L’associé exclu assigne alors la société en nullité de la modification statutaire opérée, de la décision l’excluant de la société et de la cession de ses actions.
Les questions soulevées
Dans un mémoire distinct, l’associé exclu pose quatre QPC, qui soulèvent, en substance, les problématiques suivantes :
- Le principe même de la stipulation d’une clause d’exclusion : l’article L227-16, qui autorise l’insertion de clauses d’exclusion dans les SAS porte-t-il atteinte au droit de propriété de l’associé sans nécessité publique et porte-t-il une atteinte disproportionnée du droit de propriété de l’associé sans que cette atteinte ne soit justifiée par un motif d’intérêt général ?
- La possibilité d’insérer ou de modifier une clause d’exclusion aux conditions prévues par les statuts (et non à l’unanimité).
- La combinaison des articles L227-16 et L227-19 en ce qu’ils permettent l’insertion ou la modification d’une clause d’exclusion sans que forcément chaque associé n’y ait consenti est- elle conforme à la Constitution ?
La décision du Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel tranche sans équivoque :
- Les dispositions contestées ont pour unique objet de permettre d’exclure un associé en application d’une clause statutaire, elles n’entrainent pas une privation de propriété.
- Le législateur a poursuivi un objectif d’intérêt général en permettant à une SAS de contraindre un associé à céder ses actions, ces clauses étant la garantie d'une certaine cohésion au sein de l’actionnariat de la société.
- Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, la décision d’exclure un associé ne peut être prise qu’à la suite d’une procédure prévue par les statuts. Elle doit reposer sur un juste motif, conforme à l’intérêt social et à l’ordre public et ne pas être abusive. Par ailleurs, elle donne lieu au rachat des actions de l’associé exclu à un prix de cession qui peut être contesté devant le juge par l’associé, tout comme la décision d’exclusion elle-même.
- En conséquence, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété et ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit.
Nul doute que cette décision – très attendue - sera saluée comme il se doit par la doctrine et les praticiens.
Source : Décision du Conseil constitutionnel N°2022-1029 QPC du 9 décembre 2022
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* Mireille Mull-Jochem a représenté la société de gestion de portefeuille dans le litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été posée - la SCP Piwnica et Molinié représentait cette société devant la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel.