Faut-il et comment réglementer les influenceurs ? Le précédent allemand.

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La France s’interroge sur la réglementation des influenceurs. L’Allemagne a déjà légiféré depuis un an.

L’influenceur, devenu acteur incontournable de la promotion de produits et services, est une « personne active sur les réseaux sociaux, qui par son statut, sa position ou son exposition médiatique est capable d’être un relais d’opinion influençant les habitudes de consommation dans un but marketing »[1].

Les influenceurs vivent de la transmission d’une image aussi authentique que possible de leur style de vie à leurs followers. En présentant leur – prétendu – quotidien, ils mentionnent dans leurs publications des produits de marque, des restaurants, des hôtels ou autres afin d’en faire la promotion. La frontière entre la libre expression d’opinions privées et les contenus commerciaux et publicitaires s’estompe. Il devient difficile pour le public qui est souvent jeune et mineur, de distinguer une recommandation sincère de l’influenceur d’un placement de produit payant.

La question d’un statut juridique clair encadrant la publicité d’influence et caractérisant les obligations des influenceurs est devenu un sujet d’actualité. Il existe certes des obligations spécifiques concernant le domaine de la santé et des influenceurs mineurs, ainsi que des obligations découlant des dispositions générales.

Deux directives européennes prévoient une obligation d’information et de transparence en cas de partenariat commercial et d’identification de la société pour laquelle la publication est réalisée[2]. Par ailleurs, le Digital Markets Act et le Digital Services Act visent à accroitre la responsabilité des influenceurs pour leur contenu en ligne. En France, une Proposition de loi nº 456, « visant à encadrer les pratiques commerciales et publicitaires liées au marché de l’influence sur internet » a été déposée à l’Assemblée Nationale.

Quelle est la situation de l’autre côté du Rhin ?

En Allemagne, à partir du 28 mai 2022, de nouvelles règles de protection des consommateurs ont été intégrées dans le UWG - la loi allemande sur la concurrence déloyale - (Gesetz gegen den unlauteren Wettbewerb), transposant ainsi la directive (UE 2019/2161- directive Omnibus)[3] dans l’objectif de pallier le flou juridique du marketing d’influence car face aux décisions divergentes des tribunaux allemands (I), une clarification était nécessaire (II).

La jurisprudence allemande sur les influenceurs était hétéroclite

La jurisprudence était divergente sur la notion d’acte commercial qui implique un message d’avertissement.

La publicité d’influence était déjà encadrée par plusieurs dispositions, notamment par le UWG (§2 ; §5), le TMG (la loi sur les télémédias) et le §58 du traité d’Etat sur la radiodiffusion (RStV). Selon ces différentes dispositions, la publicité d’un produit ou services est un acte commercial et doit être reconnaissable en tant que telle.

Mais l’appréciation du caractère commercial d’un acte se fait au cas par cas, pondérant intérêts privés, journalistiques et commerciaux des publications. Celles qui servent principalement des intérêts journalistiques, artistiques ou privés ne sont pas soumises à l'obligation d'étiquetage. Celles qui sont faites moyennant contrepartie financière sont des actes commerciaux et donc soumis à information. Par exemple, lorsque des hyperliens conduisent vers un produit ou un site de vente figure, l’acte est clairement commercial, que l’influenceur reçoive une contrepartie directe pour sa contribution ou non.

Mais que faut-il décider lorsque le caractère commercial des publications n’est pas facilement reconnaissable ou que l’influenceur ne reçoit pas de contrepartie directe et toutefois loue un produit sans expressément inviter à l’acheter ?[4] Car sa qualité d’influenceur, sa renommée va nécessairement attirer l’attention du public et va augmenter les ventes du produit. Et que faire avec l’influenceur en herbe qui ne reçoit pas encore de contrepartie directe ? C’est dans cette zone grise que la jurisprudence s’est disputée.

Ces questions controversées et seulement partiellement résolues par les arrêts de la Cour fédérale de justice[5] doivent maintenant être clarifiées par l'introduction d'un nouveau § 5a al. 4 de la loi sur la concurrence déloyale.

Une nouvelle obligation de transparence pour les publications publicitaires déguisées

Le législateur a désormais apporté une réponse claire à cette question avec le § 5a alinéa 4 UWG imposant une nouvelle obligation d’information pour la publicité : une publication doit être considérée comme publicitaire dès lors qu’il y a une contrepartie financière ou en nature. Et la contrepartie est présumée.

Le principe est donc clair : dès lors que l’influenceur perçoit une contrepartie financière ou en nature pour son « acte commercial », celle-ci doit être clairement identifiée comme publication promotionnelle. L’influenceur doit donc accompagner sa publication de la mention « Anzeige » [6] (annonce) ou « Werbung » (publicité). 

Le législateur allemand interprète la notion de « contrepartie » de manière très étendue. Ainsi, les commissions perçues, les produits envoyés par des entreprises ou des agences étrangères, les voyages de presse, la fourniture d'équipement (par exemple, des vêtements pour un défilé de mode) ou la prise en charge des frais sont également couverts. La nouvelle réglementation ne prévoit pas que la prestation doit être permanente. Une contrepartie de nature temporaire est également suffisante. En revanche, l'espoir d'une contrepartie ou le simple fait d'accroître la notoriété de l’influenceur ne constituent pas une "contrepartie" au sens du UWG.

Cette obligation de transparence ne s’applique pas si :

  • Les produits ont été achetés par l’influenceur lui-même
  • les publications ne contiennent pas de caractère promotionnel
  • l’objectif commercial découle directement des circonstances, c’est-à-dire que l’objectif commercial et promotionnel soit tellement clair qu’il n’est pas nécessaire d’ajouter une mention.

L'article 5a, paragraphe 4 du UWG présume qu’une contrepartie a été obtenue. L’influenceur peut toutefois renverser cette présomption en apportant par exemple une quittance d'achat du produit. De même, une déclaration sur l'honneur peut être considérée comme un moyen de rendre vraisemblable l’absence de commercialité.

C’est là que le bât blesse, car si le but commercial ne ressort pas directement des circonstances, cette appréciation ne pourra se faire qu’au cas par cas.

Vous avez des questions concernant la communication des influenceurs en France ou en Allemagne ? MARS-IP accompagne depuis 2006 des sociétés et entrepreneurs en France et en Allemagne. Contactez-nous.

Marie-Avril Roux Steinkühler et Jeanne Penicaut, Mars - IP

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[1] CA, arrêt du 10 février 2021, n°19/17548.

[2] Directive 2000/31/CE sur le Commerce Électronique (art. 6) ainsi que la Directive (UE) 2018/1808 «Services de médias audiovisuels»

[3] L'objectif de la directive est de moderniser en profondeur la protection des consommateurs et d'améliorer les possibilités d'application des droits des consommateurs.

[4] LG München I Urteil vom 29.04.2019 Az. HK 14312/18 Cathy Hummels

[5] Urteil vom 09.09.2021, Az. I ZR 90/20; Az. I ZR 125/20; Az. I ZR 126/20

[6] KG Berlin; Beschluss vom 11.10.2017; Az. 5 W 221/17


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