Grégoire Lepigeon, associé, Coblence Avocats et Salomé Khanoyan, avocate expliquent comment les enjeux ESG transforment la stratégie M&A et la manière de l’exécuter, et évoque les nouvelles opportunités et défis pour les acteurs du M&A.
Longtemps relégués au second plan, on assiste à une prise en compte croissante des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans les stratégies des entreprises en réponse tant aux aspirations du public qu’aux impulsions réglementaires françaises et européennes.
Le renforcement du devoir de vigilance, les obligations de reporting de la directive Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) applicables depuis le 1er janvier 2024 et la création par la Cour d’appel de Paris d’une chambre dédiée à ces sujets sont autant de signaux envoyés par les pouvoirs publics afin d’inciter les entreprises non seulement à quantifier les données ESG mais aussi à les intégrer à leur prise de décision dans une logique de responsabilisation de l’économie.
La responsabilité sociale et environnementale est devenue d’autant plus importante pour les entreprises du fait des risques réputationnels et judiciaires encourus. Selon la Société Générale[1], la performance boursière des sociétés confrontées à une controverse ESG est pénalisée dans la durée (12 % inférieure au reste du marché par an pendant deux ans).
Parallèlement, tout un écosystème de sociétés à impact s’est structuré de sorte à atteindre une maturité suffisante pour que se pose la question de futures licornes à Impact (Murfy, Too Good to Go, ekWateur). Ces cibles sont de plus en plus recherchées par les fonds et les industries traditionnelles, car elles permettent pour les uns de diversifier leur portefeuille et pour les autres, d’atteindre plus rapidement les objectifs ESG qu’ils se sont fixés ou de prendre une position sur des marchés émergents.
Les critères ESG sont passés de simples mentions placées dans les documents d’acquisition à des risques sérieux à encadrer et possiblement des moteurs de l’opération, posant un défi constant pour s’adapter à leur importance croissante.
Anticiper les risques et objectifs ESG avant toute négociation pour réussir son projet de M&A
Avant toute chose, les acquéreurs doivent se doter d’une méthodologie d’évaluation des critères ESG d’une cible adaptée à leur activité et à leur stratégie de développement. La montée en compétence des intervenants en M&A est essentielle en termes de gains de temps et de pertinence des choix réalisés tant les sujets ESG peuvent être étendus (risque corruption, rémunération et gouvernance, impacts environnementaux).
La liste de demandes d’audit doit donc être adaptée aux besoins du projet. En effet, un groupe spécialisé dans le bâtiment sera plus sensible aux questions d’amiante qu’une Fintech. De même, une société avec une forte exposition à l’international sera plus regardante sur les aspects liés à la corruption compte tenu des risques judiciaires encourus en France et à l’étranger.
Cette préparation est enfin utile à la capacité de l’acquéreur à réussir une acquisition et son intégration. Une étude réalisée par Impact France[2] souligne l’importance pour les fondateurs de sociétés à impact, au-delà du prix proposé, d’échanger avec un acquéreur en phase avec leur projet, afin de poursuivre en synergie leur mission sociétale. La mécompréhension du projet ou la perte d’un label à l’issue de l’intégration dans le groupe entrainerait une démobilisation des équipes acquises et une perte de valeur certaine.
Encadrer les projets par une documentation adaptée et valoriser les enjeux ESG
La pratique, jusqu’à présent, traitait uniquement les risques ESG par des engagements de mise en conformité faible pré ou post closing et/ou la neutralisation des risques identifiés dans une garantie adaptée. La valorisation des risques et la question de l’application de la garantie dans le temps peuvent se révéler ardues. Définir et évaluer le préjudice résultant d’un dommage réputationnel est complexe. Certains sujets comme l’amiante peuvent se manifester des décennies plus tard.
De bonnes performances ESG permettaient ainsi d’éviter une décote de prix ou un engagement de garantie élevé.
Toutefois, on observe un changement de tendance du fait de l’attractivité croissante des cibles vertueuses. 80% des 20 principaux investisseurs institutionnels européens ont pris des engagements sur l’investissement responsable[3].
Ainsi, la valorisation d’une cible peut être bonifiée par sa performance ESG globale ou sur des sujets particuliers. Cette dernière peut engendrer des effets d’économie et attirer les meilleurs profils. D’autant plus que de nombreux acteurs bancaires accompagnent le mouvement en offrant pour certains financements des taux d’intérêt réduits en fonction des performances ESG de l’emprunteur. Se pose alors la question d’une comptabilisation pertinente de ces effets positifs dans le prix d’acquisition.
Grégoire Lepigeon, associé, Coblence Avocats et Salomé Khanoyan, avocate
[1] S. Rolland, Responsabilité sociale environnementale : les mauvais élèves sanctionnés en Bourse, Les Echos, 03/02/2020
[2] A. Peyruse, Exit et entreprises à impact : quels enjeux ? 18/04/2024
[3]Bain&Co, The Expanding Case for ESG in Private Equity,01/03/2021