Magistrats et avocats lillois unis contre le nouveau palais de justice

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Les magistrats du tribunal judiciaire de Lille et l’Ordre des avocats au barreau de Lille (1 400 avocats) souhaitent dénoncer le projet du nouveau palais de Lille tel qu’il a été pensé par l’Agence Publique pour l’Immobilier de la Justice (APIJ) dépendant du Ministère de la Justice. 

Dès le départ, l’APIJ a souhaité construire ce projet sur un postulat : les justiciables doivent être séparés des magistrats et ne doivent plus avoir accès librement à leur juge et à leur conseil, pendant que les avocats verront eux leur surface de locaux ordinaux et professionnels limités à 111m²…  

Les magistrats et les avocats de Lille dénoncent fermement ce positionnement. Les conséquences de ce postulat de construction sont les suivantes : 

  • L’espace « bureaux » sera strictement étanche et ne sera plus accessible aux justiciables ; ainsi, les  fonctions spécialisées telles que les juges d’instruction, les juges des enfants et les juges de l’application des peines ne pourront par exemple plus recevoir les justiciables dans leurs bureaux ; 
  • Les justiciables devront être uniquement reçus dans l’espace « public », qui comprendra des salles d’audience partagées entre tous les magistrats, quelles que soient leurs fonctions ; 

Ce postulat a été doublé d’une volonté de réduire à tout prix les coûts de construction du futur palais. Ainsi : 

  • La surface utile du futur palais sera la même que celle du palais actuel, alors que le palais actuel connaît de nombreux dysfonctionnements eu égard au manque de place ; 
  • Le nombre de salles d’audience sera largement réduit par rapport à celles disponibles actuellement (qui comprennent les bureaux des juges spécialisés qui reçoivent les justiciables) ;
  • Les magistrats se verront contraints de réduire le nombre d’audiences eu égard au manque criant de salles, alors même que le nombre d’affaires à juger augmente sans cesse, ce qui entraînera là encore un ralentissement considérable pour les justiciables ; 
  • La surface prévue pour les avocats lillois et les avocats extérieurs qui se rendent quotidiennement au palais, avec nécessité d’un vestiaire, d’un accueil, d’un lieu de travail confidentiel entre audiences, d’un emplacement pour le bureau du Bâtonnier, de son secrétariat, du salarié AJ, du salarié permanences pénales (a minima), est limité à 111m², ce qui représente moins de 0,5% de la surface globale des 24 000m² du futur palais (et trois fois moins que les 350m² accordés en 1970 dans l’ancien  palais pour 120 avocats !). Les avocats font remarquer ce choix insensé depuis 2017, en vain, et cela  traduit de la part de l’APIJ une méconnaissance grave du fonctionnement au quotidien de la  profession d’avocat pour le bien du justiciable ; 
  • Les magistrats et greffiers devront « réserver » les salles d’audience, ce qui au vu de leur nombre insuffisant générera une tension avec les autres services qui en auront également besoin et une perte  de temps importante ; 

Cette modalité de fonctionnement est en outre incompatible avec les diverses urgences amenant à avoir besoin de salles (déferrements en fin de garde à vue, violation de contrôle judiciaire ou de sursis probatoire, exécution de mandats, etc) ; 

  • Les justiciables seront tous mélangés dans les espaces d’attente ; ainsi, une personne dont le divorce va être prononcé ou qui réclame réparation pour un contentieux de construction va côtoyer des personnes devant être jugées pour avoir commis des infractions pénales ; 
  • Les bureaux vont être partagés entre certains magistrats, ce qui est largement incompatible avec la confidentialité attachée aux dossiers qu’ils doivent traiter et la concentration dont ils doivent faire preuve pour analyser les procédures et trancher les litiges ; 
  • Aucun espace de réunion et de stockage suffisant n’est prévu, quelles que soient les fonctions ; 
  • Les places de parking seront réduites au minimum, ne permettant ni aux agents du palais ni aux  justiciables de se rendre dans des conditions adéquates sur les lieux ; le futur parking sera ainsi réduit de moitié par rapport au parking actuel. L’emplacement géographique de ce nouveau palais est par ailleurs extrêmement mal desservi en transports en commun. 

Cette volonté de séparer les justiciables de leurs magistrats doit être dénoncée. 

Cette volonté de réduire toujours plus les coûts, au détriment du service public de la Justice, doit cesser. 

Cette volonté de reléguer l’avocat sur une surface réduite et ingérable traduit le peu de considération pour toute la profession d’avocat.  

Au regard de ce constat, les magistrats et greffiers du tribunal de Lille avaient signé une pétition en juin  2017, dénonçant unanimement ce projet. Pour seule réponse, l’APIJ a nommé une agence de communication pour nous « accompagner au changement ». Aucun changement réel ni aucune prise en considération sérieuse dans les aménagements de ce nouvel édifice n’ont eu lieu. 

Trois maîtres-mots ressortent de ce projet : déshumanisation, déconsidération et désinvolture à l’égard des  magistrats et des avocats, au préjudice du justiciable. 

Depuis lors, il faut noter qu’un mouvement d’ampleur a soulevé la magistrature, par une tribune recueillant  plus de 5500 signatures (sur environ 9000 magistrats) et à laquelle les avocats lillois apportent leur plein et entier soutien.  

Ce mouvement appelle de ses vœux un renforcement significatif du nombre de magistrats et de greffiers, ainsi qu’une prise en compte de la souffrance à la fois des agents et des justiciables dans les conditions matérielles et morales dans lesquelles la Justice est actuellement rendue. 

Ainsi, les magistrats du tribunal de Lille ont voté une motion en assemblée générale, le 03 décembre 2021,  rappelant notamment que si la France respectait la moyenne européenne, le tribunal de Lille devrait compter : 

- 220 magistrats du siège au lieu de 96 actuellement ; 

- 139 magistrats du parquet au lieu de 39 ; 

- 739 fonctionnaires de greffe et adjoints administratifs au lieu de 274 ; 

Il est temps de prendre en compte l’avis unanime des professionnels de justice pour construire un palais à  la hauteur des ambitions affichées et des attentes de nos concitoyens. Tel n’est pas le cas du projet actuel.  Nul ne pourra désormais prétendre ignorer cette catastrophe annoncée. 

Magistrats et avocats lillois sont plus que jamais unis dans ce combat, au service des justiciables, d’une Justice digne et d’une démocratie solide. 

La construction et l’inauguration du nouveau palais de justice doivent être une fête pour tous : laisser les  choses en l’état, c’est compromettre l’avenir.  


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