Hélène Fontaine, présidente de la Conférence des bâtonniers explique pourquoi la Conférence est opposée à l’avocat salarié en entreprise.
Pourquoi l’avant-projet de texte sur l’avocat salarié en entreprise tel qu’il est présenté actuellement ne vous satisfait pas ?
Ce projet est totalement contraire à nos principes fondamentaux, contraire à tous les fondamentaux de la profession, et évidemment contraire à l’indépendance et au secret professionnel.
L’indépendance, c’est une ligne rouge qu’on ne peut pas franchir. Nous ne pouvons pas être avocat et salarié d’une entreprise dans laquelle il y a un lien de subordination. Nous sommes des indépendants. Nous avons un serment : « je jure comme avocat d’exercer mes fonctions avec notamment indépendance ». Par conséquent, ce projet est tout à fait contraire à ce que nous sommes.
En définitive, ce projet engendrerait un avocat diminué, un sous avocat. Notre secret professionnel est bafoué. Notre déontologie en prend un coup aussi. Nous ne pouvons pas l’entendre.
L’autorité du bâtonnier est aussi bafouée. S’il y a un litige concernant le contrat de travail, ce ne serait plus le bâtonnier qui serait compétent, mais ce serait le conseil des prud’hommes. C’est complètement impensable tout ça !
En ce qui concerne la lutte contre le blanchiment, le projet prévoit que l’avocat salarié en entreprise ne serait pas soumis à cette obligation alors qu’un avocat, qu’on appellera indépendant, l’est.
J’ajoute que le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 29 janvier 2018, sur recours de la Conférence des bâtonniers a rappelé que l'indépendance de l'avocat doit être matérielle et fonctionnelle.
De même, la grande chambre de justice de la Cour européenne, en février 2020, estime qu’un avocat en entreprise n’a pas l’indépendance nécessaire pour agir dans le cadre professionnel et disciplinaire.
On dit que nous sommes des conservateurs, mais nous ne voulons pas renier notre indépendance !
Pourquoi ne pas expérimenter ce statut pour voir ce qu’il peut apporter concrètement ?
Nous ne pouvons pas expérimenter l’avocat salarié en entreprise parce que cela touche à nos valeurs. Nous ne pouvons pas expérimenter quelque chose qui est contraire à nos fondamentaux. Par ailleurs, on parle d’une expérimentation de cinq ans. C’est énorme !
Cela signifie qu’il ne s’agit pas d’une expérimentation. Ce serait une nouvelle façon d’exercer.
Il n’est pas possible d’expérimenter un nouveau mode d’exercice. La profession s’est exprimée là-dessus : le CNB a pris deux motions le 22 janvier dernier : une sur la méthode, une autre sur le fond s’opposant à l’expérimentation de l’avocat salarié en entreprise.
Une semaine après, la Conférence des bâtonniers a voté également contre à la quasi-unanimité.
Est-ce qu’il n’y aurait pas un compromis à trouver avec les juristes d’entreprise en accordant le privilège de confidentialité des avis des juristes d’entreprises dans le souci de préserver la compétitivité des entreprises françaises ?
La compétitivité des entreprises, les avocats y sont très sensibles. Nous souhaitons assurer la protection juridique des entreprises. D’ailleurs, les avocats défendent déjà les entreprises.
Il pourrait donc y avoir une protection renforcée des avis des juristes d’entreprise.
Certains barreaux y sont favorables. Il faut trouver une solution constructive dans l’intérêt général de l’entreprise.
Il faut bien distinguer entre la protection des avis -liée à l’acte- et le secret professionnel -lié à la personne- ce sont deux choses sur lesquelles nous sommes vraiment attentifs à la Conférence des bâtonniers. C’est une piste de réflexion qui est lancée.
Qu’en est-il des échanges avec la Chancellerie ?
A son initiative, la Chancellerie recueille actuellement les positions des différents protagonistes, mais ce sont des confrontations de points de vue. Nous sommes dans l’attente d’un texte sans avoir d’échéance.
Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier)