Le Fonds de dotation Open Law a lancé le jeudi 11 juin la deuxième édition du Prix Open Thèse, prix récompensant des thèses en droit dont le texte intégral a été déposé dans un répertoire ouvert (en open access). La cérémonie de lancement, virtuellement hébergée par la Bibliothèque Universitaire Paris Dauphine - PSL (Paris Sciences Lettres), a été l’occasion pour les membres du jury, les mécènes et l’équipe d’organisation du prix de rappeler ses principaux objectifs premiers : valoriser le doctorat et promouvoir une meilleure diffusion des travaux de recherche dans la lignée du mouvement Science Ouverte.
Initié au sein de l’association « Open Law* Le droit ouvert » par l’équipe du programme Open Doctrine - dont les actions ont vocation à rendre visible la doctrine juridique francophone, le prix est la première action du fonds de dotation Open Law. Jean Gasnault, co-porteur du projet, a d’abord rappelé le succès presque inattendu de la première édition du Prix, et s’est félicité de l’enthousiasme avec lequel le projet a été soutenu par une communauté grandissante au sein des universités mais aussi par de nombreux éditeurs juridiques et cabinets d’avocats, dont le mécénat a permis de reconduire le projet pour une seconde année.
Forte de ce succès, l’équipe du prix a largement augmenté la capacité du jury - dont la réputation avaient déjà grandement participé au succès de la première édition, et ce afin de pouvoir accueillir sereinement toutes les disciplines du droit, d’assurer un ancrage territorial plus large et la représentation d’institutions plus diverses. Le règlement du concours a peu changé, l’innovation majeure de cette édition étant la création d’un groupe chargé de l’examen du référencement interne à la thèse (portant principalement sur la qualité de la bibliographie et des citations), examen qui s’ajoute au premier critère de sélection : la qualité scientifique des travaux proposés.
Car si le prix Open Thèse s’inscrit dans un mouvement science ouverte, il s’agit bien de faire rentrer de plain-pied la recherche en droit dans l’ère numérique. C’est ce qui a poussé le Cabinet de Conseil SVP, représenté par Olivier Anceschi, a être mécène du projet : « Open Thèse est un projet ambitieux et moderne au plein sens du terme »
L’accès ouvert : plus qu’une mode, un mouvement
Après la Bibliothèque Cujas, qui a accueilli la cérémonie de lancement du Prix en 2019, c’est Christine Okret-Manville, Directrice Adjointe de la Bibliothèque Paris-Dauphine/ PSL et référente « science ouverte » pour ces universités qui a ouvert la cérémonie avec des mots forts, réaffirmant ainsi le rôle des bibliothèques dans l’accompagnement des jeunes doctorants afin de leur permettre de mieux comprendre l’impact des sciences ouvertes, notamment dans la diffusion de leurs travaux.
« La science ouverte n’est pas un effet de mode mais un mouvement qui s’inscrit de plus en plus dans les pratiques, et est encouragée à se développer à tous les niveaux - international, national et local »
L’université Paris-Saclay a d’ailleurs marqué son engagement dans ce sens en adoptant le 5 mai dernier sa propre charte en faveur de la science ouverte, insistant sur deux axes : la mise en ligne des publications en accès ouvert et la bonne gestion des données de la recherche.
Carole Grard, responsable du pôle documentation de la faculté de droit et science politique de l’université de Bordeaux, le rappelle aussi : « En tant que documentaliste, les deux questions qui me sont souvent le plus posées, c’est : “Où trouver tels ou tels travaux pour mes recherches ?” et “Comment valoriser et diffuser ma thèse et ses résultats” ?” L’open access répond parfaitement à ces deux questions ».
En effet, et paradoxalement, les thèses sont bien plus difficiles d’accès depuis qu’elles ne sont plus déposées que sous forme numérique qu’elles ne l’étaient lorsqu’elles étaient déposées sous la forme papier. Comme le rappellent plusieurs membres du jury, les difficultés s’accumulent lorsqu’on cherche à accéder à des travaux étrangers (et réciproquement lorsque des chercheur.e.s étranger.e.s souhaitent accéder aux travaux de recherche français, ou lorsque les bibliothèques universitaires sont fermées - comme cela a été le cas récemment durant la crise du COVID-19.
Comme le souligne Valère Ndior, professeur de droit international et droit du numérique à l’université de Bretagne-Occidentale,
« Il faut garder à l’esprit que le travail de thèse sert aussi à alimenter les travaux qui sont menés par les futurs jeunes chercheurs en France et à l’étranger dans des pays où il est parfois pas évident, voire impossible, d’avoir accès à certaines publications. [...] Toute thèse disponible en ligne est une richesse incontestable pour l’ensemble des étudiants et des jeunes chercheurs à travers le monde »
Et pour Michel Vivant, professeur émérite de droit à Sciences Po Paris, « On ne peut pas penser la science sans l’échange ! Revenant sur ses réflexions à la croisée du numérique et de la Propriété Intellectuelle, il précise :”La propriété intellectuelle peut fermer l’accès, mais en tant que juriste, on peut porter un autre regard : que voulons-nous faire de l’outil juridique pour qu’il soit au service des valeurs que nous voulons adopter ? »
Les acteurs du monde juridique ont un rôle fort à jouer dans la dissémination des connaissances promise par le numérique, dissémination à même de donner un nouveau souffle au doctorat, aujourd’hui trop peu valorisé en France.
Valoriser le doctorat et le travail de thèse
Le constat dressé par nombre des intervenant.e.s se veut assez alarmant : le doctorat reste trop peu valorisé en France, et souffre de la comparaison avec ses homologues étrangers. L’ouverture de l’accès aux travaux de recherche est bien l’une des solutions pour relancer la recherche en droit. Arnaud de Bissy, professeur de droit fiscal à l’université de Toulouse, partage son expérience :
« Je m’occupe d’un Master en droit fondamental et à l’examen des candidatures, il est assez inquiétant de voir que peu d’étudiants ont le projet de faire une thèse - parce qu’ils ne savent pas ce qu’est le travail de thèse. Il faut tout faire pour encourager la recherche, et pour l’encourager, il faut la faire connaître. »
L’accès ouvert, ou open access, est à même de permettre la diffusion des travaux de recherche des jeunes docteur.e.s -toutes disciplines confondues, et s’avère un moyen efficace pour donner de la visibilité à son travail. Valère Ndior témoigne : « Lorsque j’ai soutenu ma thèse je l’ai rendue disponible en ligne sur différentes plateformes [...] et cela m’a offert un grand nombre d’opportunités de participer à des colloques ou à des publications, certains collègues ayant eu l’opportunité de découvrir mes travaux sur internet. »
A travers le prix Open Thèse, et grâce à l’implication des mécènes, le fonds de dotation Open Law a permis de réaffirmer l’utilité du travail de thèse au-delà du monde de la recherche, créant un pont avec les entreprises et la legaltech. Florence Jouffroy, directrice de la communication pour le cabinet CMS Francis Lefebvre, rappelle l’importance de la doctrine pour le cabinet : « C’est une tradition pour nous d’être proches de l’université. Nous avons en notre sein un certain nombre de professeurs renommés, qui dirigent nos services de doctrine. C’est une particularité du cabinet. [...] Nous sommes toujours très soucieux, lorsque nous recrutons de jeunes avocats de les former au mieux pour qu’ils soient les meilleurs praticiens possibles sur la place ».
Le prix Open Thèse se singularise aussi par la présence de nombreux éditeurs juridiques, qui actent par leur participation leur inscription dans le mouvement science ouverte. L’éditeur Lexbase, représenté par Fabien Girard de Barros, revient sur son engagement de publier les travaux primés sur sa plate-forme (en accès ouvert bien sûr !), et sur l’utilité des travaux de recherche pour le monde professionnel dans son ensemble : « Nous sommes convaincus que le droit n’existe que si il est publié, et ça vaut pour tout ce qui est du domaine de la prospective et de la recherche [...] Nous sommes persuadés que les thèses qui vont nous être présentées vont permettre de développer des questions actuelles, d’y apporter des réponses. Car les travaux de recherche peuvent apporter des solutions extrêmement pragmatiques dans le cadre d’une utilisation - d’une réflexion, pour les entreprises, pour les cabinets d’avocats ou autres professions juridiques ».
Un Prix “pas tout à fait” comme les autres
Outre sa vocation à promouvoir l’accès ouvert aux travaux de recherche en droit, le Prix Open Thèse se veut avant tout un prix attractif pour les jeunes chercheur.e.s, avec des dotations conséquentes et un jury dont l’expertise est largement reconnue. C’est aussi ce qui a convaincu Philippe Dupichot, professeur de droit privé à l’université Paris I (Panthéon Sorbonne), d’y prendre part : « Une thèse peut être en accès libre et de grande qualité ! [...] Le jury est constitué d’éminents collègues visant à assurer la qualité scientifique du prix. »
L’objectif est ainsi de créer un cercle vertueux, et un système gagnant-gagnant pour les candidat.e.s et pour la recherche en général. « Il me semble que l’existence même de ce prix de thèse peut encourager un certain nombre de jeunes docteurs à publier leurs travaux en libre accès en les rassurant sur le fait que leurs travaux seront reconnus comme des travaux de qualité et primés s’ils le méritent », souligne Nicolas Gabayet, professeur de droit administratif à l’université des Antilles. « Il ne faut pas perdre de vue l’angoisse des jeunes docteurs, celle de ne pas réussir les concours d’accès à l’enseignement supérieur, notamment devenir maître de conférences, la voie étant devenue de plus en plus étroite. Le fait de pouvoir se distinguer par ce prix Open Thèse est à mon avis un avantage pour pouvoir se singulariser, un tremplin pour ces jeunes chercheurs. »
Au-delà de récompenser des travaux de grande qualité scientifique et de découvrir les chercheur.e.s de demain, le Prix a bien pour ambition de faire bouger les lignes lorsqu’il s’agit de rendre accessible ses travaux.
Plusieurs membres du jury ont ainsi partagé leurs expériences personnelles et les mises en garde de leurs professeurs lorsqu’il s’est agit de mettre en ligne leur propre travail de thèse, marquant l’évolution des mentalités en la matière. Mais si la sensibilisation à l’accès à la donnée de recherche publique a commencé, certaines résistances subsistent. Aurelle Levasseur, Maître de conférence en histoire du droit à l’université Paris Nord - Sorbonne, témoigne :
« Un professeur de droit m’a alors mis en garde : quelle erreur stratégique, vous allez vous faire piller votre travail ! Aujourd’hui, cette réticence est passée. Un auteur a moins de chance d’être plagié lorsque sa thèse est mise en ligne. Cette remarque témoignait d’un réflexe de défense non rationnels dont certains subsistent encore. C’est l’un des objectifs du prix Open Thèse que de participer à briser ceux de ces réflexes qui sont irrationnels pour permettre une libre circulation des idées, et ainsi enrichir la recherche. »
Pour acter cette transition, l’équipe d’organisation du prix a créé un groupe chargé de l’examen de la qualité de référencement interne à la thèse, composé de documentalistes et qui portera sur la qualité de la bibliographie et des citations, l’utilisation des outils numériques appropriés… S’assurant ainsi de la qualité des thèses qui seront publiées.
Ce critère s’ajoutera à la note principale sur la qualité scientifique des thèses examinées. Car pour Rémy Lérignier, Ingénieur d'études chargé de la documentation juridique numérique à l’université de Poitiers, des efforts restent à faire pour profiter pleinement des possibilités offertes par le numérique : « Malheureusement, si je me réfère aux thèses en open access que je peux lire, le référencement reste le parent pauvre de la thèse… La qualité formelle de la thèse sous format numérique, et des outils périphériques (index, tables des matières, titres noyés, annexes…) est très importante et j’espère que le Prix permettra de mettre en avant ces éléments ».
La cérémonie de lancement du prix s’est close par l’ouverture officielle de la période de soumission des candidatures, l’ensemble des participant.e.s à la cérémonie se rejoignant sur un point : l’espoir de voir un grand nombre de candidat.e.s postuler !
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