Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 14 juin 2013, la DIRECCTE jouit d’une compétence exclusive pour le contrôle des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), tant s’agissant de la validation des accords collectifs que de l’homologation du document unilatéral de l’employeur. Le contentieux afférent aux contestations des décisions de l’Administration a été naturellement transféré aux juridictions administratives selon les conditions de l’article L. 1235-7-1 du code du travail. Néanmoins, la jurisprudence a dû intervenir pour tracer plus précisément la frontière entre le bloc de compétence du juge administratif et la compétence résiduelle du juge judiciaire, ce dernier étant seul compétent pour les licenciements économiques individuels et collectifs de moins de 9 salariés.
C’est là tout l’intérêt de l’arrêt rendu par la Chambre sociale le 14 novembre dernier (n°18-13.887) qui devait trancher le point de savoir si le contrôle des risques psychosociaux (RPS) consécutifs à un projet de restructuration d’entreprise, accompagné d’un PSE, relève de la compétence du juge judiciaire ou du juge administratif.
Quels étaient les faits de l’espèce ?
La société a présenté en début d’année 2015 un projet de réorganisation se traduisant notamment par le recours à de nouveaux outils informatiques et la mise en œuvre conjointe d’un PSE avec suppression de 71 emplois. Fin juin 2015, la DIRECCTE a validé l’accord collectif portant PSE.
Le 16 janvier 2017, un second rapport d’expertise a conclu en l’existence de RPS. L’instance a alors saisi le TGI afin que ledit projet soit suspendu. A l’appui de sa contestation, l’entreprise arguait notamment de l’incompétence du juge judiciaire sur ce sujet.
Quels sont les fondements de la compétence du juge judiciaire pour connaître du contentieux collectif de l’obligation de sécurité appliquée au PSE ?
L’article L. 1235-7-1 du code du travail dispose que l'accord collectif ou le document unilatéral, le contenu du PSE, les décisions de l'Administration et la régularité de la procédure de licenciement collectif ne peuvent faire l'objet d'un litige distinct de celui relatif à la validation ou l'homologation qui relèvent de la compétence exclusive du juge administratif.
En matière de validation d’un « PSE négocié », la DIRECCTE fait œuvre d’un contrôle restreint, délimité à l’article L. 1233-57-2 du code du travail, qui vise notamment :
- le respect de la condition majoritaire relative aux signataires de l’accord ;
- la conformité du contenu du PSE aux dispositions légales comme l’existence d’un plan de reclassement ou d’actions de formation et de reconversion ;
- le respect de la procédure d’information consultation ;
- en cas de « PSE unilatéral », l’article L. 1233-57-3 dudit code prévoit un contrôle administratif renforcé portant notamment au surplus sur les mesures d’accompagnement.
La DIRECCTE n’a donc pas pour mission de contrôler l’impact d’une restructuration sur la santé des salariés, la réorganisation ne pouvant avoir « pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés ». (Cass. Soc., 5 mars 2008, n°06-45.888 « SNECMA »).
Dans l’arrêt du 14 novembre 2019, la Chambre sociale a dès lors reconnu légitimement la compétence du juge judiciaire pour contrôler les RPS consécutifs à une réorganisation assortie d’un PSE.
Ainsi, la compétence résiduelle du juge judiciaire doit s’apprécier a contrario au regard des éléments de contrôle légalement confiés au juge administratif, le premier pouvant statuer en tout domaine pour lequel la compétence du second n’est pas limitativement prévue par le code du travail.
Ce raisonnement a permis à la jurisprudence de considérer par exemple que le juge judiciaire est compétent pour apprécier la violation de l’obligation individuelle de reclassement, cette violation ne pouvant être fondée sur une insuffisance du PSE dont le contrôle appartient exclusivement au juge administratif. (Cass. Soc., 21 novembre 2018, n°17-16.766).
Le Conseil d’Etat partage ce raisonnement a contrario en considérant qu’un refus de validation du PSE ne peut être opposé par la DIRECCTE que si l’accord « méconnait ces dispositions [Article L. 1233-57-2 : cf ci-avant sur le périmètre du contrôle de l’Administration] ou s’il comporte des clauses qui l’entachent de nullité ». (CE, 10 octobre 2018, 395280)
La jurisprudence administrative considère également que la DIRECCTE ne peut se livrer à une appréciation des choix économiques de l’entreprise (CAA de PARIS, 14 avril 2016, 16PA00295).
Quel est l’impact de cette décision et quels en sont les enseignements ?
La validation ou l’homologation d’un PSE n’induit pas un blanc-seing total pour l’employeur de mettre en œuvre le PSE. Il convient par conséquent de ne pas se réjouir trop vite …
Toutefois, lorsque ce type de contestation intervient et implique une suspension du PSE, les actions correctives sont généralement immédiatement mises en œuvre afin que le litige ne puisse prospérer dans le temps (Cass. Soc., 22 octobre 2015, n°14-20.173 « AREVA »).
Pour autant et afin d’éviter ce type de déconvenue, mieux vaut anticiper et prendre toute la mesure de l’impact du projet de restructuration pour les salariés notamment sur un plan psychologique en :
- Mettant en œuvre les meilleurs relais de communication notamment via le management ;
- Informant, voir en formant, le middle management sur les impacts psychologiques d’un PSE (gestion de l’incertitude, des angoisses de perdre son emploi, etc …) ;
- Mettant en place une cellule d’écoute professionnelle composée d’interlocuteurs spécialistes des RPS et non-salariés de l’entreprise ;
- Procédant à une analyse d’impact de la restructuration sur la charge de travail faisant ressortir que les licenciements n’induiront pas par une surcharge de travail pour les salariés non licenciés.
Jacques Perotto, associé, et Quentin Kéraval, collaborateur, en droit social au sein du cabinet Alerion