L’accord transactionnel global historique conclu par Airbus SE avec les autorités de poursuite a marqué une nouvelle étape dans la coopération internationale. Karen Coppens, associée nationale du cabinet d’avocats Dechert qui a travaillé sur le dossier depuis avril 2016, revient sur ses conséquences et ses enseignements.
Le 31 janvier 2020, Airbus a annoncé avoir conclu le premier accord transactionnel global coordonné avec le Parquet national financier (PNF) français, le Serious Fraud Office (SFO) britannique, le Department of Justice (DoJ) et le Department of State (DoS) américains. Le montant total des amendes suite aux accords est d’environ 3,6 milliards d’euros.
La Convention judiciaire d'intérêt public (CJIP), les Deferred Prosecution Agreements (DPA) et le Consent Order obtenus ont mis un terme aux enquêtes menées suite aux allégations de fraude, corruption et de non-conformité des règlements américains sur les exportations de matériel militaire (International Traffic in Arms Regulations, ITAR).
Cette affaire marque un tournant décisif dans la coopération internationale en matière de lutte contre la corruption pour différentes raisons.
La disposition d’Airbus à révéler les faits et sa coopération pendant les enquêtes ont été qualifiées d’« exemplaire ». Airbus a pris un engagement clair auprès des autorités de coopérer pleinement, activement et sincèrement. Cette coopération et le fait que l’entreprise ait fait une enquête approfondie lui ont permis de bénéficier de réductions de 50% lors de la détermination de l’amende. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, révéler spontanément des faits incriminants dans un délai raisonnable et négocier une CJIP peut éviter aux entreprises un long procès pénal public et considérablement réduire le montant des amendes prononcées à leur encontre. Monsieur Russo, Premier vice-procureur financier du PNF, a déclaré que dorénavant, une révélation spontanée au PNF pourrait permettre aux entreprises d’obtenir plus de 50% de crédit de coopération et a décrit la façon dont Airbus a travaillé avec le PNF comme le « modèle » à suivre.
La complexité, l’échelle et la portée de l’enquête étaient uniques :
L’entreprise, avec l’aide de ses conseils, a conçu et dirigé une stratégie globale d’eDiscovery basée sur un modèle de revue unifié de documents qui utilise des méthodes technologiques (Technology Assisted Review) pour accélérer et efficacement identifier, revoir et communiquer des documents aux autorités tout en prenant en compte les lois sur la sécurité nationale, plusieurs langues, les différents régimes de protection des données et lois nationales de blocage.
Airbus a partagé un large volume d’informations avec les autorités de poursuite qui ont eu accès plus de 30 millions de documents. Lors de leurs vérifications indépendantes, les autorités n’ont identifié aucun élément qui n’avait pas été divulgué par l’entreprise lors de son enquête.
La loi de blocage, qui s’applique à la transmission de toute information destinée à être utilisée par des autorités étrangères à des fins de poursuites et interdit aux entreprises françaises de divulguer des documents ou renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des autorités de poursuite étrangères, a été respectée. L’ensemble des communications aux autorités non-françaises ont transité par le PNF.
La relation entre le PNF et le SFO était encadrée par un accord d’entraide couvrant la totalité de l’enquête et le PNF/SFO ont travaillé ensemble comme une « équipe commune d’enquête. » Cette structure était nouvelle et démontre le haut degré de coopération entre les autorités. Le Department of Justice américain a accepté de jouer un rôle de partenaire de second rang car le centre de gravité de l’enquête était en Europe. Les relations tissées au cours de cette affaire, entre autres, conduiront probablement à approfondir ce type de coopération et à multiplier les collaborations entres les autorités. Il est probable qu'à l'avenir, le PNF continuera de s'appuyer sur ses relations avec ses homologues américains, britanniques et d'autres pays et utiliser les pouvoirs juridictionnels étendus accordés par Sapin II pour mener des enquêtes mondiales et imposer des amendes. On peut donc s’attendre à une coordination transfrontalière accrue en matière de lutte contre la corruption.
Les autorités ont été pragmatiques et ont su appréhender les conflits de norme et les pratiques d’enquête différentes entre les régimes français, anglais et américains Les autorités ont su concilier les tensions entre le secret professionnel et le legal privilege permettant ainsi à Airbus de minimiser le risque de subject matter waiver, notamment aux États-Unis. Dans les Lignes directrices émises par le PNF/l’Agence française anti-corruption en juin 2019, le PNF a déclaré qu’il tiendrait compte des risques auxquels les entreprises pourraient être confrontées dans d’autres pays en renonçant au secret professionnel. Cette reconnaissance des conséquences de la levée du secret professionnel à l’étranger implique que le refus d’une entreprise de communiquer des documents couverts par le secret professionnel en vertu d’une législation étrangère, et non de la loi française, ne sera pas nécessairement interprété comme un refus de coopération.
Lors de l’enquête, Airbus a renforcé son programme de conformité et a pris des mesures allant nettement au-delà de ce qui pouvait être attendu de l’entreprise.
Ce dossier est le symbole d’une justice négociée reposant sur la coopération entre la défense et le parquet et démontre que le système judiciaire français a gagné en crédibilité. Il est primordial pour les entreprises d’évaluer dès le départ les différentes stratégies possibles pour maximiser la couverture et la protection qu’elles pourraient obtenir, et ce en consultant des experts possédant l’expérience et le savoir-faire nécessaires pour relever les défis posés par une pluralité de régimes juridiques. La révélation spontanée des faits incriminants figure parmi les décisions les plus délicates et lourdes de conséquences incombant aux entreprises, qui doivent donc y réfléchir très sérieusement en pesant soigneusement ses avantages et inconvénients à court, moyen et long terme.
Karen Coppens, avocate associée nationale au sein du cabinet Dechert Paris