Cumul télétravail et chômage partiel : une fraude lourde de conséquences

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Sabine Sultan Danino, avocate, décrypte les possibilités de fraude au dispositif du chômage partiel et leurs conséquences, notamment pénales.

Dans le contexte de crise sanitaire actuel, le ministère du Travail a mis en place un dispositif exceptionnel d’activité partielle en soutien aux employeurs et salariés qui s’est appliqué avec effet rétroactif à compter du 1er mars 2020. Le décret n°2020-325 du 25 mars 2020 publié au Journal officiel le 26 mars, améliore le montant financier de l’allocation, simplifie la procédure de recours à l’activité partielle, et réduit les délais de traitement des demandes. L’allocation d’activité partielle versée par l’État à l’entreprise est désormais proportionnelle aux revenus des salariés placés en activité partielle.

Elle couvre 70% de la rémunération brute du salarié. Cette allocation est au moins égale au SMIC et est plafonnée à 70 % de 4,5 SMIC.

Avec ce nouveau dispositif, le reste à charge pour l’employeur est nul pour tous les salariés dont la rémunération est inférieure à 4,5 SMIC.

Cette procédure concerne potentiellement toutes les entreprises, quel que soit leur effectif.

Le dispositif d’activité partielle peut être sollicité par les entreprises dans les cas suivants :

  • Les salariés sont dans l’impossibilité de travailler car l’activité de l’entreprise est visée par un arrêté de fermeture ;
  • Les entreprises sont confrontées à une baisse d’activité ou à des difficultés d’approvisionnement objectives ;
  • Il est impossible de mettre en place les mesures de prévention nécessaires pour la protection de la santé des salariés (télétravail, gestes barrière, etc.).

En pratique, le chômage partiel peut prendre deux formes :

  • Soit un arrêt total de l’activité des salariés - dont le contrat est suspendu -, en raison de la fermeture de l’entreprise ou d’un ou plusieurs services. On parle alors de chômage partiel total.
  • Soit une réduction du temps de travail hebdomadaire habituel.

Et un employeur peut très bien demander à un salarié d’alterner des périodes de chômage partiel avec des périodes d’activité.

En contrepartie de cette aide significative de l’Etat, les entreprises devront s’engager à réduire, voire arrêter, l’activité de leurs salariés et à respecter un certain nombre de règles.

Ainsi, la mise en chômage partiel des salariés n’est pas compatible avec le télétravail.

Une procédure simplifiée et peu contrôlée quant à l’éligibilité des entreprises pour y avoir recours

Pourtant des abus sont à déplorer. Déjà certaines entreprises y ont recours alors même qu’elles ont largement de quoi faire travailler toutes les équipes à plein temps.

La procédure a été simplifié dans le contexte de crise sans précédent que nous vivons, avec donc un contrôle quasiment nul.

L’avis du Comité social et économique, qui devait auparavant intervenir avant la demande d’activité partielle, peut désormais intervenir a posteriori et être adressée dans un délai de 2 mois après la demande, pour tenir compte des circonstances exceptionnelles. La décision de l’administration est rendue en 48 heures. À défaut de réponse, le silence de l’administration vaut acceptation.

Il est ainsi fait le choix de mettre en avant une certaine réactivité des administrations ; tout en maintenant un encadrement par un contrôle qui sera exercé plus tard.

Il faut pourtant garder en tête qu’en pratique, il n’est pas rare que le chômage partiel soit suivi d’un licenciement économique même si l’esprit du dispositif exceptionnel mis en place est justement de proposer une alternative.

Cette souplesse constitue aussi un terreau fertile dans lequel peuvent germer des comportements abusifs.

Un constat d’abus aux formes diverses et souvent officieuses

Mais plus grave, même s’ils restent très minoritaires, bon nombre d’employeurs n’hésitent pas à solliciter de leur salarié qu’il télétravaille alors même que ce dernier est placé en activité partielle.

L’enjeu pour l’employeur : profiter de l’aide publique tout en limitant la perte d’exploitation.

Autrement dit, cumuler « le beurre et l’argent du beurre ».

Si la demande est formulée officiellement, explicitement : le salarié qui refuse de travailler alors qu’il a été placé en chômage partiel ne pourra pas faire l’objet d’une mesure disciplinaire. Il ne commet aucun manquement en refusant de se conformer à la demande illégale de son employeur.

Mais, comme il s’agit d’une fraude et que c’est assimilé à du travail illégal, l’employeur peu scrupuleux va plutôt user de toutes sortes de ruse pour solliciter ce cumul, de façon officieuse.

Certains vont jouer de l’ambiguïté du dispositif : chômage partiel total (le salarié n’est pas du tout censé travailler) ou réduction du temps de travail habituel (qui impliquerait que le salarié travaille quand même). Etant précisé que si l’employeur reste silencieux, on peut supposer qu’il s’agira d’un « chômage partiel total » et en ce cas, le salarié n’est juste pas censé travailler.

D’autres vont sciemment entretenir le flou : effectivement, l’employeur ne se semble pas tenu d’une obligation d’informer ses salariés par écrit de la mise en place du dispositif de chômage partiel dans son entreprise. Et cette carence encouragera à une communication orale floue et souvent imprécise.

Sans aller jusqu’à la menace explicite de licenciement, plus « subtils » seront les appels, les suggestions lourdes et insistantes en invoquant « la solidarité » ou « la conscience professionnelle » .... D’autres continuent de recevoir des mails de leur hiérarchie, sollicitant des rapports ou des comptes-rendus dans des délais requis.

L’abus peut également prendre la forme d’un « chantage au salaire » : l’employeur promet un maintien de salaire à 100% si le salarié continue à travailler normalement nonobstant le chômage partiel. Ce « maintien » pourra d’ailleurs prendre la forme d’une promesse de « prime » qui viendra plus tard compléter le manque à gagner pour les salariés.

« Opération » finalement assez juteuse pour l’employeur qui se retrouve à payer un salarié a temps plein à seulement, par exemple, 30% de son salaire, le reste étant assumé par l’Etat.

On constate d’ailleurs ces abus surtout concernant « les gros salaires », ceux pour lesquels le chômage partiel - largement financé par l'Etat - permettra d'alléger la masse salariale.

Autant de moyens pour contraindre officieusement et sans laisser de preuves.

Un salarié en période de crise est une proie apeurée et en état naturel de faiblesse.

Et un salarié dont la rémunération variable représente plusieurs mois de salaire sera d’autant plus incité et implicitement encouragé à travailler.

Pour les salariés dont le chômage partiel prend la forme d’une réduction du temps de travail hebdomadaire habituel, la situation est souvent plus confuse.

En pratique les salariés peuvent continuer à travailler dès lors que les heures chômées et indemnisées sont respectées.

L’employeur doit donc veiller à établir un décompte du temps de travail précis sous peine de risquer des sanctions

L’abus sera patent si la charge de travail ne diminue pas et si le salarié se retrouve finalement à travailler à temps plein, poussé toujours officieusement, oralement, subtilement par sa hiérarchie.

Alors comment démêler le vrai du faux ?

De deux choses d’une, soit le salarié est au courant et participe en toute connaissance de cause à cette fraude et en ce cas, il est passible de complicité.

Soit il ne sait pas ce qui se trame et le découvre en regardant son bulletin de salaire à la fin du mois, lequel précisera normalement le nombre d’heures chômées indemnisées.

En effet, au moment de la demande d’activité partielle, l’employeur renseigne le nombre d’heures chômées prévisionnelles.

Les heures effectivement travaillées sont ensuite portées au mois le mois sur le bulletin de paie de chaque salarié ainsi que les heures chômées indemnisées qui peuvent donc être différentes de celles déclarées initialement en fonction de l’activité d’entreprise.

L’employeur doit donc tenir le décompte précis des heures travaillées par ses collaborateurs, y compris en situation de télétravail.

- Des sanctions lourdes, civiles et pénales

Le ministère du Travail a précisé les sanctions encourues aux entreprises dans ce cas précis. Ces sanctions sont cumulables :

  • remboursement intégral des sommes perçues au titre du chômage partiel
  • interdiction de bénéficier, pendant une durée maximale de 5 ans, d’aides publiques en matière d’emploi ou de formation professionnelle.
  • 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, en application de l’article 441-6 du code pénal (utilisation d’une fausse déclaration en vue d’obtenir d’un organisme public une allocation, une prestation, un paiement ou un avantage indu)

Etant précisé également, qu’en cas de travail dissimulé, l’autorité administrative compétente (URSSAF), pourrait être amenée à appliquer une majoration complémentaire de 25% sur le montant du redressement des cotisations et contributions sociales.

Le ministère du Travail invite les salariés et les représentants du personnel à signaler.

- L’action possible du salarié devant le conseil de prud’hommes

Le salarié victime de cette fraude à ses dépens, pourra aussi avoir un intérêt personnel à agir devant le Conseil de prud’hommes.

S’il parvient à démontrer qu’il a travaillé des heures durant lesquelles il était déclaré en chômage partiel, il pourra alors réclamer un rappel de salaire correspondant à la différence entre le montant du salaire qu’il aurait dû percevoir et le montant de l’indemnité d’activité partielle qui lui a été versée.

Également, dès lors que le caractère intentionnel de la dissimulation des heures travaillées est démontré, le salarié pourra solliciter une indemnité de travail dissimulé au regard du nombre d’heures de travail officiellement déclaré et en réalité inférieur à celui réellement accompli.

Cette indemnité forfaitaire pour travail dissimulé correspondant à six mois de salaire minimum.

Etant précisé que le travail dissimulé est également une infraction pénale, l’employeur risque 3 ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende, outre, les peines complémentaires telles que l’exclusion des marchés publics pour une durée de 5 au plus.

Les demandes de rappels de salaires peuvent être complétées de demandes de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ou pour préjudice moral que le salarié devra démontrer.

Reste à se demander si une telle fraude pourra justifier une éventuelle requalification d’une prise d’acte aux torts exclusifs de l’employeur en licenciement sans cause réelle ni sérieuse ou bien une action en résiliation judiciaire du contrat de travail. Dans ce type de litige, les éléments de preuve comptent et il faudra démontrer que les manquements de l’employeur ont rendu impossible la poursuite du contrat de travail (pressions, chantage, abus de faiblesse ou encore harcèlement moral).

En tout état de cause et en sus de ces sanctions, il y a lieu de songer à l’atteinte durable à l’image de l’entreprise qui aura finalement réaliser un profit sur le dos d’un dispositif basé sur des valeurs intrinsèques de solidarité et d’entraide...

Sabine Sultan Danino, avocate


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