Travail, chômage et suicide : l’alerte de l’observatoire national du suicide

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Sabine Sultan Danino, avocate, revient sur le rapport publié récemment par l'Observatoire National du Suicide qui a spécifiquement analysé les liens entre le travail, le chômage et le suicide.

L’observatoire national du suicide, rattaché au ministère de la Santé a rendu son quatrième rapport se penchant sur les liens entre travail, chômage, et suicide et alertant tout particulièrement sur le sort des chômeurs. Ce rapport, publié mercredi 10 juin, est édifiant, notamment dans le contexte de crise sanitaire qui génèrera sans doute des licenciements.

 Mettre fin à ses jours n’est pas un geste anodin. C’est un acte dramatique et qui renvoi un message pas toujours clair pour la famille et les proches pétris de doutes sur ce qui a motivé l'auteur. Même si les causes sont souvent multifactorielles, Il arrive malheureusement que cette conduite soit liée à un contexte professionnel.

Des causes multiples en liens avec le travail ou l’absence de travail

Par exemple, un état de souffrance au travail ou d’épuisement professionnel (ou « Burn out ») dû à des dysfonctionnements managériaux, ou à une situation de harcèlement. Concrètement, il peut s’agir d’une surcharge importante de travail et ou de l’impossibilité d’atteindre ses objectifs ; il peut aussi s’agir plus simplement d’un conflit de valeurs entre l’idée que l’on se fait de sa tâche et ce à quoi elle est réduite. L’automatisation du travail par exemple a pu susciter un sentiment d’inutilité et d’abandon.

Le passage à l’acte peut aussi suivre une affection longue durée (ALD) et donc un long arrêt maladie générant une angoisse à la simple perspective de reprendre le travail.

L’étude révèle que celles et ceux qui passent à l’acte sont souvent dans l’attente d’une reconnaissance et placent la "valeur travail" en haut de la pyramide.

Autant de situations, d’éléments, qui font que le travail devient toxique.

L’anxiété professionnelle prend alors le pas sur la vie privée et plus rien ne permet de soulager ce profond mal être.

L’absence de travail peut être encore plus toxique, avec un impact avéré sur la santé

Des études, dont celle menée par l’Observatoire, permettent d’établir que le chômage fait partie des facteurs déclencheurs de suicide en France. Une alerte d’autant plus importante que, les prochains mois pourraient voir augmenter dramatiquement le nombre de personnes licenciées au nom de la crise économique causée par le confinement. Déjà dans ce contexte, la semaine dernière, dans le Calvados, un éboueur s’est donné la mort au lendemain de la notification de son licenciement.

La prise en charge possible dans le cadre de la législation relative aux risques professionnels

Si le suicide est survenu pendant le temps de travail et sur le lieu de travail et s’il n’y a pas d’éléments médicaux ou administratifs qui démontrent que le suicide est totalement étranger au travail : alors le lien de causalité avec le contexte professionnel est quasiment évident.

Le suicide sera d’ailleurs présumé être un accident du travail pris en charge dans le cadre de la législation relative aux risques professionnels.

C’est véritablement une présomption d’imputabilité laissant à l’employeur ou la caisse d’assurance maladie, la charge de prouver l’absence de liens entre le suicide et le travail. Toutefois, le passage à l’acte peut également avoir lieu à l’extérieur du lieu de travail et être néanmoins imputable au contexte professionnel.

La charge de la preuve incombera alors aux ayants droits de la victime qui devront démontrer le lien avec le travail. Cette démarche impliquera souvent une longue bataille judiciaire mais qui s’avère souvent nécessaire voire thérapeutique pour les membres de la famille du défunt. Car la quête de vérité et de justice quant aux raisons ayant motivé le drame, participe aussi à la reconstruction.

La jurisprudence n'exige pas, pour reconnaître le caractère professionnel d'un accident qu’il soit causé exclusivement par la situation de travail. Une expertise pourra déterminer alors si l'équilibre psychologique du salarié a été gravement compromis à la suite de la dégradation continue des relations de travail et du comportement de l'employeur. A titre d’exemple dans le cas d’une salariée qui s’était suicidée par pendaison à son domicile alors qu’elle était arrêtée pour état dépressif depuis plusieurs mois, il a été jugé que les faits, les évènements, les écrits et les témoignages « permettent de constater que la succession de ceux-ci avait progressivement puis de manière radicale altéré l'équilibre psychologique du salarié jusqu'à le conduire au suicide. »

Car celles et ceux qui se suicident dans ces circonstances sont, selon cette étude, des femmes et des hommes qui se sont intensément investis dans leur activité professionnelle, des professionnels confirmés, dans l’attente d’une reconnaissance.

La nécessité de prévention dans un dialogue ouvert et transactionnel

Une chose est certaine, en matière de suicide, la seule solution reste encore la prévention avant que l’irrémédiable ne soit commis. Et ne surtout pas laisser « pourrir » une situation. Une personne en arrêt maladie depuis trop longtemps pour dépression, cela devrait déjà susciter une inquiétude de la part de l’employeur, de la sollicitude, bref, de l’humain. Mais aussi, du "transactionnel", c'est à dire une certaine envie de solutionner le litige ou d'assainir la situation moyennant certaines concessions. Car il arrive malheureusement que l’employeur prenne la situation comme un « bras de fer » qui ne sera gagné qu’à l‘issue d’une démission du salarié en souffrance. Ce rapport de force peut s’avérer insupportable pour une personne fragile et la pousser à commettre l’irrémédiable comme seule échappatoire. Un tel traitement d’une situation humaine complexe requiert au contraire subtilité et bienveillance, ainsi qu’une certaine envie de solutionner amiablement le litige.

Les DRH ou les patrons ne sont malheureusement pas toujours formés à cela. De plus, l’indéniable judiciarisation des rapports fait que certains ont tendance à couper le dialogue, comme effrayés par le mot « dépression ».

Cette attitude de repli contribuant à marginaliser et isoler davantage un salarié déjà fragilisé. Le blocage est encore plus flagrant dans les grandes structures ou la bureaucratie freine parfois les décisions.

Le rapport de l’observatoire émet notamment l’idée d’un comité sur le risque suicidaire dans ce contexte de crise sanitaire et économique pour formuler des préconisations en termes de santé et de prévention.

En tout état de cause, et pour que ces gestes désespérés puissent revêtir à tout le moins le sens souhaité par leur commettant, des préconisations s’imposent et c’est dans cette optique qu’interviennent les travaux conduits dans ce rapport (avant la crise sanitaire), alors qu’une explosion du chômage se profile.

Sabine Sultan Danino, avocate


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