Tribune de Philippe Drouillot, Associé, Lexcase
Tous les praticiens du droit s’accordent sur le fait que la loi fiscale est surabondante, complexe, peu lisible, parfois contradictoire.
Un exemple : l’article 150-0 B ter du code général des impôts.
Ce texte a été créé en 2012, afin d’éviter l’abus d’opérations « d’apport-cession ». Il s’agit d’interposer une société holding afin de ne pas imposer immédiatement la plus-value sur les titres cédés : le contribuable apporte les titres destinés à être cédés à une nouvelle société en bénéficiant d’un différé d’imposition, et les titres sous-jacents sont immédiatement cédés par la société holding sans coût fiscal immédiat.
Pour mettre un terme à ces situations d’abus, le législateur a exigé que le produit de la cession des titres sous-jacents soit réinvesti dans une activité professionnelle effective.
En 2012, on nous a dit : « ne vous inquiétez pas, l’article 150-0 B ter a pour seule vocation de légaliser les conditions posées par la jurisprudence pour éviter la remise en cause des opérations abusives ».
Nous avons donc légitimement pu comprendre que le dispositif anti-abus de l’article 150-0 B ter était un outil de sécurisation juridique : dans le cas où le contribuable respecte les différentes conditions listées par le texte, on ne pourra pas lui reprocher un quelconque abus. Nous étions donc preneurs !
Patatras ! L’évolution des positions de l’administration fiscale nous montre qu’il n’en est rien. Par exemple, cette fiche publiée en juin 2022 par l’administration sur un « procédé de fraude » sur le réinvestissement après cession (voir lien ci-dessous).
Conclusion : on peut donc bien « abuser d’un dispositif anti-abus ». Même si on remplit scrupuleusement les conditions posées par le texte de loi, et même si ce texte est lui-même un
« dispositif anti-abus », il semble qu’on ne puisse pas considérer qu’il soit un outil de sécurisation juridique. Au contraire, il faudra se méfier de la mise en œuvre par l’administration de la procédure de l’abus de droit, qui peut d’ailleurs être aujourd’hui déclenchée dès que l’objectif peut être considéré comme « principalement fiscal ».
Loin de moi l’idée de contester la volonté de lutter contre les abus ; c’est en identifiant les abus que l’on récompense les contribuables vertueux. Le problème est plus complexe : il tient au côté
« totalitaire » de notre législation fiscale. A vouloir tout prévoir, à se vouloir exhaustive, la loi porte en elle-même les germes de son propre abus. Et l’administration s’oblige à devoir réfléchir à l’infini sur les diverses modalités d’application possibles de l’ensemble des textes qu’elle initie elle-même. C’est véritablement kafkaïen !
Peut-être une solution simple : faire confiance aux juges, ne pas se substituer à eux en incluant dans la loi les conditions mêmes de sa propre remise en cause.
Philippe Drouillot, Associé, Lexcase