Olivier Attias, Counsel, avocat aux barreaux de Paris et New York et Manon Krouti, Avocat au barreau de Paris, August Debouzy analysent les conséquences de la mobilisation partielle en Russie pour les filiales russes d’entreprises françaises.
Huit mois après le début du conflit russo-ukrainien, les sanctions occidentales à l’encontre de la Russie se multiplient : le 6 octobre dernier, c’est un 8ème paquet de sanctions que l’Union européenne a adopté, limitant un peu plus encore les relations avec la Russie. Pour poursuivre leurs activités, les groupes français ayant une filiale en Russie doivent aujourd’hui naviguer parmi les nombreuses restrictions applicables et les conséquences concrètes qu’elles entrainent (difficultés d’approvisionnement, de financement, dépréciation des actifs, etc.), mais également, depuis le 21 septembre dernier, conjuguer avec les effets de la mobilisation partielle décrétée par le Président Poutine.
Les impacts des amendements apportés aux lois fédérales n°31-FZ du 26 février 1997 sur la préparation à la mobilisation et la mobilisation dans la Fédération de Russie et n°61-FZ du 31 mai 1996 sur la défense en vertu de cette mobilisation partielle ne se limitent pas, en effet, au sort des seuls réservistes russes.
D’abord, la section III de la première de ces lois liste les obligations auxquelles sont assujetties toutes les personnes morales de droit russe, y compris donc les filiales russes de sociétés françaises. Ces sociétés doivent prendre les mesures nécessaires pour répondre aux besoins des forces armées russes pendant la période de mobilisation, en particulier, en élaborant des plans de mobilisation.
Il faut, en effet, comprendre de l’article 9 de la loi n°31-FZ que les filiales russes de sociétés françaises doivent, depuis le 21 septembre, assurer la notification et la comparution de leurs salariés faisant partie des réservistes russes.
Surtout, cet article précise que des actes législatifs pourront ordonner et, partant contraindre, des sociétés à fournir à l’Etat russe certains biens matériels (transports, bâtiments, communications) ou certaines prestations de services en échange d'une compensation. On pense, en premier lieu, aux véhicules et autres moyens de transport, mais en réalité, toutes sortes de biens (pièces de rechange, composants électroniques, équipements) et de prestations (opérations de maintenance, services d’entretien ou prestations informatiques), s’ils s’avéraient utiles au plan de mobilisation, pourraient, en principe, être requis par le gouvernement.
Par conséquent, des filiales russes de groupes français pourraient, en théorie, voir leurs salariés mobilisés ou encore leurs stocks et moyens de production réquisitionnés par le gouvernement russe.
En outre, en application de la loi n° 61-FZ régissant très largement l’organisation de la défense, le gouvernement russe pourra décréter, dans le cadre de la mobilisation, des mesures économiques spéciales considérées comme nécessaires pour assurer le fonctionnement des forces armées russes et, de ce fait, les imposer à l’ensemble des sociétés russes.
Au titre de ces mesures, il est, en particulier, prévu que les sociétés, quel que soit leur actionnariat, puissent être contraintes de signer des contrats de marchés publics répondant aux besoins de l’armée russe ou d’autres organes de l’Etat. Or, le gouvernement russe a introduit des modifications récentes au code pénal russe visant, justement, à alourdir les peines prévues en cas de refus répété de conclure un tel contrat ou d’inexécution. De tels comportements sont désormais considérés comme un crime passible d’une peine de prison pouvant aller jusqu'à 8 ans.
Concrètement, l’arsenal législatif russe permet, ainsi, au gouvernement de contraindre les filiales de groupes étrangers à participer à l’effort de guerre, soit en les sollicitant pour mobiliser leurs salariés, soit en réquisitionnant leurs biens ou leurs services, ou encore en les contraignant à exécuter un contrat public.
Si certains commentateurs évoquent, compte tenu de ce qui précède, le risque de mise en cause de certains groupes français pour des faits de complicité des crimes de guerre commis par l’armée russe, il convient de rappeler que la complicité de tels crimes, au sens de l’article 121-7 du code pénal, suppose la caractérisation d’un élément intentionnel résidant dans le fait d’apporter une aide ou une assistance à l’auteur principal, tout en ayant une connaissance précise des crimes qu’il commet ou est sur le point de commettre.
L’hypothèse d’une aide apportée, sous contrainte, par une filiale russe en exécution d’une réquisition ou d’un ordre donné par le gouvernement devrait, en principe, s’opposer à la caractérisation d’une quelconque intention criminelle.
Face au constat que le seul dépôt de plainte en ce sens suffirait à nuire à leur réputation, certains s’interrogent sur la possibilité de céder leurs actifs locaux, quitte à les brader : un choix cornélien qui complexifie d’autant la situation des groupes présents en Russie.
Olivier Attias, Counsel, avocat aux barreaux de Paris et New York et Manon Krouti, Avocat au barreau de Paris, August Debouzy