Veronique Fröding, avocate associée, DS Avocats et Arnaud Kpondjo, avocat collaborateur de DS avocats présentent les schémas contractuels des contrats de vente directe à long terme d’électricité (« PPA ») et expliquent les apports de la loi du 10 mars 2023.
Le marché des contrats de vente directe à long terme d’électricité (plus connus sous l’acronyme « PPA ») offre une voie complémentaire au marché de la production d’électricité renouvelable, en plus des régimes d’aide ou de la vente directe sur le marché de gros de l’électricité.
Le développement des PPA est encouragé par la directive sur les énergies renouvelables RED II et le projet révisé RED III incitant les États membres à lever les barrières réglementaires aux PPA. (Cf. Article 15 de la Directive RED II et considérant 9 de la Directive RED III).
En France, la dynamique lancée en 2019 s’est accélérée en 2023 du fait de facteurs conjoncturels (crise énergétique et volatilité des prix) et structurels (impératifs de transition énergétique et de la politique RSE). Sur le plan juridique, le PPA est reconnu pour la première fois par la loi n°2023 -175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, dite « Loi APER ». Son article 86 le définit comme « un contrat de vente directe à long terme d’électricité » distinct du contrat de fourniture d’électricité.
La loi APER vise essentiellement le PPA avec livraison physique d’'électricité sur un site de consommation par opposition au PPA « financier» sans flux physique qui ne constitue pas un contrat de vente d'électricité mais un instrument financier.
L’article 86 (codifié à l’article L.333-1et s. du code de l’énergie) encadre plus spécifiquement :
- la détention d’une autorisation de fourniture par le producteur
- la possibilité pour le producteur de conclure un PPA tout en bénéficiant de soutiens publics
- la conclusion de PPA avec des acheteurs publics.
La loi APER prévoit en miroir des dispositions relatives à la vente directe de biogaz, de gaz renouvelable et de gaz bas-carbone.
La loi APER ne réglemente toutefois pas le contenu des contrats de vente directe qui relèvent de la liberté contractuelle. Comme le souligne la CRE « le développement des PPA doit se réaliser selon une logique de marché, entre acteurs privés : le rôle de la puissance publique est de veiller avant tout à ne pas entraver ce développement ».
Des schémas contractuels variés
La pratique offre des schémas contractuels variés qui dépendent notamment du calendrier de mise en service de l’installation ENR, des profils énergétiques du consommateur et des besoins de financement du producteur.
En France la quasi-totalité des PPA portent sur la vente de flux physique d’électricité produite par une installation ENR à un consommateur personne morale. La vente peut aussi concerner les garanties associées (garanties d’origine, garanties de capacités).
Les PPA sont le plus souvent bilatéraux. Le PPA multilatéral commence à se développer (cfPPA multi-acheteurs entre Voltalia,LCL et dix entreprises, clientes de la banque, portant sur la production d’une centrale solaire photovoltaïque de 56 MW).
Lorsque l’installation est financée par emprunt bancaire, le PPA est souvent soumis à l’accord des préteurs lesquels peuvent exiger la signature d’un accord direct avec l’acheteur pour suppléer les éventuelles défaillances du producteur.
Parallèlement au PPA,est conclu un contrat d’agrégation. L’agrégateur a pour mission d’intégrer l’électricité dans le périmètre d’équilibre de l’acheteur. Une articulation entre le PPA et le contrat d’agrégation est à prévoir.
Principaux points de vigilance contractuels:
- La durée du contrat (avec ou sans clause de prorogation) et date d'entrée en vigueur
La durée du contrat calculée en général à compter de la mise en service de l’installation ENR, dépend souvent de la durée d’amortissement des actifs, et de la volonté de l’acheteur de s’engager sur du long terme ou non:
- les CPPA à court terme (3/6 ans) généralement pour les projets sortant d’un mécanisme de soutien.
- Les CPPA à long terme (10/25 ans) pour les projets en développement.
La prise d’effet effective du contrat est soumise à la réalisation de plusieurs conditions suspensives (CS) qui varient selon que l’actif est à construire ou non. Ces conditions concernent notamment l’obtention d’un financement, l'obtention des permis purgés de tout recours, le raccordement de l’installation au réseau, la réussite des essais de mise en service.
- La date de mise en service liée à la date d’injection de l’électricité sur le réseau
La date de mise en service est calculée en fonction de périodes successives après le démarrage des travaux de construction. Cette date peut donc être retardée par les perturbations dans le déroulement de ces phases. Il est nécessaire de définir une date butoir qui peut être éventuellement décalée ainsi que :
- les pénalités encourues par le producteur en cas de retard dans la mise en service ;
- les cas de prorogation légitime qui ne donne pas lieu à indemnisation (par exemple une défaillance du réseau ou tout autre cas de force majeure...) ;
- des conditions de résiliation du contrat (avec ou sans indemnité)en cas de retard prolongé.
Le montant et l’exigibilité des pénalités et des indemnités de résiliation sont des points clef de négociation.
- Volume d'énergie
Plusieurs options sont possibles. Les plus fréquentes sont :
Option 1 – Pay as produced : L'acheteur s'engage à acheter 100 % du volume d’électricité produit par l’installation, même si la production réelle, en volume et/ou en profil, s'écarte des besoins de l’acheteur. Dans cette option, le producteur ne s’engage ni sur un volume précis, ni sur un profil déterminé. Il incombe au responsable d’équilibre de l’acheteur d’assurer la cohérence en temps réel entre les volumes des sites d’injection et de soutirage vis-à-vis du réseau de RTE. Il appartiendra au fournisseur de l’acheteur d’assurer la fourniture du complément. L’option pay as produced qui est la plus répandue, oblige l’acheteur à se coordonner avec son fournisseur d’électricité et /ou l’agrégateur concerné, afin que celui-ci puisse gérer les aléas liés à l’intermittence de production.
Option 2 - Engagement de production : Dans cette option, le producteur s'engage sur un volume et/ou un profil de production déterminé (par exemple un bloc baseload annuel ou horaire). Le producteur supporte ici les conséquences techniques et financières de l'intermittence de la production. Cette option est plus onéreuse pour le consommateur puisque le producteur offrira à l’acheteur un service d’agrégation et d’équilibrage.
- Prix du PPA
Différentes structures de prix sont envisageables (prix fixe indexé ou non, prix de marché limité par des prix plancher et/ou plafond ; un prix révisable suivant une formule et des indices identifiés). Le contrat doit préciser les éléments de facturation (la périodicité de la facturation, la collecte des données de comptage et la gestion des contestations, la date de paiement et les mécanismes de gestion des litiges relatifs au paiement) ainsi que les mécanismes de révision.
- Principaux engagements des parties
Le producteur : A compter de la mise en service, l’engagement principal du producteur porte sur la garantie de disponibilité de l’installation. Cette garantie est assortie de pénalités ainsi que d’un droit de résiliation de l’acheteur en cas de non atteinte d’un seuil minimal.
Une clause de substitution de l’installation au profit de l’acheteur est à négocier en cas de non construction ou de non disponibilité de l’installation initiale.
Une obligation d’information au profit de l’acheteur sur les conditions d’exploitation/d’interruption et de maintenance de l’installation est essentielle.
Une autre obligation importante du producteur porte sur la disposition des droits sur les garanties d'origine générées par l’installation afin de les transférer libre de tout droit à l’acheteur.
L’acheteur : Son obligation principale porte sur le paiement du prix du contrat (achat de l'électricité, des garanties d'origine et éventuellement des garanties de capacités), la désignation du responsable d’équilibre ainsi que la fourniture d’une garantie de paiement en fonction de la solvabilité de l’acheteur (caution de la société mère, garantie autonome). Le risque de contrepartie constitue pour le producteur et ses préteurs un risque essentiel à couvrir.
- Limitations de responsabilité.
Les clauses de limitation de responsabilité permettent d’assurer la prévisibilité des enjeux financiers du contrat. Les dommages peuvent être limités à la réparation des dommages directs causés par le producteur ou l’acheteur.
- Conditions de résiliation
La définition des motifs et des conditions de résiliation en cas de manquements ou non des parties sont également un enjeu important de la négociation. L’accord direct entre l’acheteur et le préteur peut offrir d’autres alternatives à la résiliation an cas de défaillance du producteur.
- Garanties d'origine (GO) / Garanties de capacité (GC)
Le contrat doit préciser le sort réservé aux garanties associées à l’installation. Le principe de libre circulation des garanties d’origine consacré par la directive RED II et la version actuelle de la directive RED III permet aux parties de valoriser des actifs renouvelables dans tout l’espace de l’Union européenne.
APPORTS DE LA LOI APER DU 10 MARS 2023
L’article 86 de la loi APER a pour objectif de favoriser le développement des PPA en complément des mécanismes de soutien aux ENR tout en permettant aux acheteurs publics de sécuriser leur approvisionnement long terme à un coût maitrisé. Des textes de précision manquent encore pour mieux appréhender les objectifs de la loi.
- La détention par le producteur d’une autorisation de fourniture
L’article 86 prévoit qu’à compter du 1 juillet 2023, les producteurs d'électricité concluant un contrat de vente directe d'électricité à des consommateurs finals ou à des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes devront être titulaires d'une autorisation de fourniture délivrée par l'autorité administrative. A défaut d'une telle autorisation, le contrat de PPA peut désigner un producteur ou un fournisseur tiers, déjà titulaire d'une telle autorisation, afin qu'il assume, par délégation, à l'égard des consommateurs finals, les obligations incombant aux fournisseurs relatifs à la contribution de ceux-ci à la sécurité d'approvisionnement en électricité de l’équilibre du réseau.
Il s’agit donc d’une option laissée à l’appréciation du producteur qui devra soit obtenir l’autorisation soit désigner un fournisseur. Cette deuxième option permettra aux parties de désigner le fournisseur du complément de l’acheteur et pourrait obliger les parties à associer le fournisseur dès la phase de négociation du PPA.
A ce jour le décret d’application portant sur l’autorisation de fourniture n’a pas été publié. En conséquence cette obligation n’est pas encore applicable. Cette disposition ne devrait en principe pas être rétroactive et ne devrait concerner que les contrats conclus à compter du 1 juillet 2023. Toutefois, il reste une incertitude sur les effets de cette disposition sur les contrats signés avant le 1erjuillet 2023 mais qui sont entrés en vigueur après le 1er juillet 2023 ou dont la première livraison de l’électricité est intervenue après cette date. Le décret d’application attendu devrait permettre de clarifier cette question. Le décret permettra aussi de préciser si les producteurs pourraient bénéficier d’un régime aménagé moins contraignant que celui pesant actuellement sur les fournisseurs d’électricité et ce afin de ne pas pénaliser les petits producteurs.
- Possibilité pour les producteurs de cumuler un PPA et un mécanisme de soutien public
Les articles L. 333-1 et L. 311-12 du code de l'énergie modifiés par la loi APER autorisent les producteurs lauréats d'un appel d’offre à vendre via un PPA une partie de l'électricité issue d’un actif bénéficiant d’un mécanisme de soutien. Les producteurs lauréats pourront à la fois bénéficier d’un contrat administratif avec EDF et d’un contrat de droit privé avec un consommateur final. Lorsque les producteurs décident de combiner ces différents modes de commercialisation, ils sont tenus d'adresser à la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), dans un délai de deux mois à compter de la conclusion du contrat de PPA, de sa modification ou de la survenance de tout évènement l'affectant, les éléments contractuels, financiers, techniques ou opérationnels. Ces informations devront permettre à la CRE d'accomplir la mission de surveillance des PPA qui lui a été confiée par l'article 86 de la loi APER.
- Possibilité pour les acheteurs publics de conclure des PPA à long terme
La loi APER permet aux acheteurs publics (pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices définies aux articles L. 1211-1 et L. 1212-1 du code de la commande publique) de conclure des contrats de vente directe d'électricité à long terme avec les producteurs pour répondre à leurs besoins en électricité produite à partir de sources renouvelables. La conclusion de ce contrat doit se faire dans le respect des règles prévues par le code de la commande publique. La durée du contrat est définie en tenant compte de la nature des prestations et de la durée d'amortissement des installations nécessaires à leur exécution, y compris lorsque le pouvoir adjudicateur n'acquiert par ces installations. Cette disposition permet aux acheteurs publics de déroger à l’obligation de définir la durée du contrat en tenant compte de la nécessité de mise en concurrence périodique.
- Mise en place d'un fonds étatique destiné à couvrir le risque de contrepartie
Cette mesure n’est pas spécifiquement prévue par la loi APER mais résulte d’un communiqué de presse du gouvernement du 10 novembre 2022.Il est prévu un fonds de garantie financé par l’État permettant de couvrir les producteurs signataires de PPA contre le risque de défaillance structurelle des acheteurs, surtout lorsqu’il s’agit d’un acheteur privé soumis aux aléas de la concurrence. En cas de réalisation du risque, le fonds permettrait au producteur qui serait alors obligé de vendre sa production sur le marché à un prix inconnu à l’avance de se voir compenser tout ou partie des pertes engendrées par la différence entre le prix de marché et le prix convenu dans le cadre du PPA. Le mécanisme de fonctionnement de ce fonds, confié à la BPI France, reste à clarifier. Cette garantie qui serait en mesure de garantir des contrats représentant jusqu'à 500 MW de puissance installée cumulée, constituerait un mécanisme efficace pour assurer le financement des projets en PPA.
Veronique Fröding, avocate associée, Codjo et Arnaud Kpondjo, avocat collaborateur de DS avocats.