Il faut sauver le code du travail

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Tribune d'Alexandre Lamy, avocat associé chez Arsis Avocats et cofondateur du think tank Néos.

À longueur de colonnes et de rapports, depuis maintenant fort longtemps, le télétravail a été présenté comme la principale conquête sociale des mutations du travail à l’œuvre, accélérées par la crise sanitaire.

Pourtant, les enjeux sont ailleurs et posent la question du rôle du droit du travail et du modèle vers lequel nous devons tendre.

La distanciation physique avec l’entreprise a ainsi occupé la grande majorité des commentaires et débats sur les nouveaux rapports au travail, le télétravail en étant la pierre angulaire.

Mais cette pierre s’effrite aujourd’hui.

Après l’emballement, voici venu le temps de l’essoufflement et du désenchantement, les entreprises commençant à battre le rappel, comme Tesla, Google, Goldman Sachs et JP Morgan.

C’était prévisible :l télétravail n’a pour objet que le lieu d’exécution du travail, et les enjeux sont ailleurs.

Sous cette partie émergée de l’iceberg sur laquelle tout le monde a fondu, l’individualisation des relations de travail et la quête d’autonomie, dont le télétravail a été l’un des accélérateurs, sont les enjeux majeurs des nouveaux rapports au travail.

Ce sont d’ailleurs ces enjeux qui conduisent à s’interroger aujourd’hui sur le sens du travail.

Logique en effet, quand on sait que le sens du travail renvoie notamment à la capacité de mettre en œuvre une organisation permettant aux salariés de développer leur créativité, leur pouvoir d’action et de jugement.

Ce sont ces mêmes enjeux qui conduisent aujourd’hui certains auteurs à affirmer que le rapport au travail est cassé, meurtri.

Mais ne serait-ce finalement pas le rapport au travail salarié qui est en cause ?

Ne serait-ce pas la soumission à des directives, et l’impossibilité de vaquer à ses obligations personnelles qui poseraient question ?

Au-delà du lieu de travail, le télétravail a en effet bousculé la gestion traditionnelle du temps de travail.

Or, cette gestion du temps de travail s’appuie sur les critères de mesure de la subordination : le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles.

C’est donc bien le rapport au travail salarié qui apparaît comme meurtri.

Une lubie limitée aux seuls salariés de l’économie de services ? Je ne le crois pas dès lors qu’à l’ère de l’industrie numérique, l’ouvrier qualifié est détenteur d’un savoir-faire technique de nature à lui conférer une large autonomie opérationnelle et des marges importantes de prévisibilité et de contrôle sur ses propres conditions de travail.

Les unités de temps, d’espace et d’action que nous connaissons et qui ont fondé la construction du salariat à l’ère manufacturière sont aujourd’hui bousculés.

Le phénomène croissant du travail indépendant vient d’ailleurs confirmer ce constat.

Dès 2021, un rapport sénatorial constatait l’essor du travail indépendant – favorisé par l’émergence de nouvelles formes d’emploi dont les plateformes collaboratives numériques – et rappelait la nécessité de s’interroger sur les raisons de ce succès ainsi que sur les évolutions du monde du travail qu’elle révèle (Rapport d’information du Sénat – 8 juillet 2021).

Ce rapport rappelait les observations du Haut Conseil du Financement de la Protection Sociale, selon lesquelles l’appétence pour le travail indépendant est liée à la recherche d’une liberté dans l’exercice professionnel ou d’une meilleure conciliation entre vie privée et vie professionnelle.

Fin 2021, les Urssaf dénombraient 4,1 millions de comptes de travailleurs indépendants (TI). Ainsi, le nombre de travailleurs indépendants a augmenté de 8,6 % en 2021 (après + 8,1 % en 2020), porté par la croissance soutenue des auto-entrepreneurs (+ 15,3 % en 2021, après + 17,6 % en 2020), qui représentent désormais 54,2 % des travailleurs indépendants. 

Cette croissance tient également au développement de la doctrine de « l’entreprise agile », s’appuyant sur le recours accru à des prestataires indépendants, comme autant de petites unités interconnectées partageant les mêmes processus, y compris à la demande des collaborateurs, notamment dans le secteur technologique.

Un tel développement est facilité par les nouvelles technologies et l’IA, qui permettent de découper plus encore le contenu de certains métiers.

C‘est ainsi que se multiplient d’ailleurs les plateformes de mise à disposition de personnel se multiplient, fleurtant dangereusement avec l’activité de travail temporaire.

Cette prise de distance avec le salariat trouve sa traduction dans les urnes lors des élections professionnelles et dans l’affaiblissement de la présence syndicale dans l’entreprise.

Ce mouvement de fond doit conduire à deux évolutions majeures.

D’abord, la dynamique de convergence de droits entre statuts professionnels doit être accélérée, notamment en garantissantà tous les travailleurs un socle de droits fondamentaux, pour accompagner et favoriser les transitions professionnelles.

Il s’agirait ainsi de créer un véritable "Code du travail" et non plus uniquement un Code du salariat, et définir ce faisant notre futur modèle social au soutien de la conquête entrepreneuriale

Ensuite, il conviendra de définir les nouvelles unités de temps, de lieu et d’action qui viendront renouveler le salariat pour être au rendez-vous de l’intelligence artificielle et de la réindustrialisation numérique.

Alexandre Lamy, avocat associé chez Arsis Avocats et cofondateur du think tank Néos


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