Le Monde du Droit a rencontré Hervé Delannoy, directeur juridique de Rallye SA et président de l'Association française des juristes d'entreprise (AFJE). Il réagit sur le document de travail traitant de "l'exercice de la profession d'avocat en qualité de salarié d'une entreprise", publié le 20 février 2012 par la Direction des affaires civiles et du Sceau.
Que pensez-vous globalement de ce document de travail ?
En tant que tel il a le mérite d’ouvrir un débat dans un période propice qui, compte tenu des élections, ne comporte aucun calendrier législatif ou réglementaire pour un texte. Nous pouvons donc la mettre à profit pour discuter sur le fond. C’est utile.
Sur le contenu du document de travail, notre avis se fonde sur les objectifs de ce projet d’avocat en entreprise. Si pour introduire dans notre droit la confidentialité des avis du juriste d’entreprise, il est proposé d’instituer "l’avocat en entreprise" dans le but de ne pas créer de nouvelle profession réglementée, il faut réellement que tous les juristes d’entreprise répondant aux conditions de diplôme, d’expérience et de déontologie deviennent alors avocat en entreprise, que le nouveau statut d’avocat en entreprise soit réellement commun sur l’essentiel, hormis la plaidoirie, avec celui d’avocat libéral, et que l’accès à cette profession d’avocat en entreprise se fasse sur une base non discriminatoire.
A défaut il ne sera pas créé une seule profession comme proposé.
Le document de travail ne répond pas à ces critères. Sur des bases discriminatoires, il ferait coexister des juristes d’entreprise qui ne seraient pas des avocats en entreprise et des avocats en entreprise qui ne seraient pas vraiment des avocats. Nous en arriverions à trois professions, ce qui va à l’encontre de l’objectif affiché initialement. Ce document de travail ne nous parait donc pas contenir les principes sur lesquels nous pouvons bâtir une réflexion commune.
S’il fallait retenir une proposition de ce document, quelle serait-elle ?
L’indépendance intellectuelle qu’il reconnait comme l’a fait le rapport Prada. Mais ce n’est pas vraiment une proposition, plutôt une reconnaissance de l’existence de cette indépendance intellectuelle dans l’exercice de la profession de juriste d’entreprise. En termes de proposition, ce serait le principe de l’octroi de la confidentialité avec la prise en compte de la protection et de la levée de celle-ci en cas d’enquête notamment des autorités de régulation. Le principe est sain, les modalités restent à travailler, mais c’est un document de travail.
Sur le privilège de confidentialité dont l’avocat en entreprise bénéficierait, que pensez-vous des propositions ?
La confidentialité proposée est limitée et éloignée du secret professionnel de l’avocat, nous en avons parlé avec nos amis de l’ACE. Comme eux, nous ne pensons pas que secret et confidentialité (à ne pas confondre) puissent être un obstacle entre l’employeur et l’avocat en entreprise comme ils ne le sont pas aujourd’hui entre le client et son avocat. De plus, rappelons que c’est bien d’une protection accordée à l’entreprise dont nous parlons et non d’une protection du juriste d’entreprise.
Le document ne traite pas des avis et des conseils oraux, de la situation de l’avocat d’entreprise entendu par un juge ou un enquêteur, ni de la confidentialité des correspondances avec les autres avocats, qu’ils soient en entreprise ou non.
Reste-t-il des zones d’ombres importantes qui empêchent la création de ce statut ?
La principale zone d’ombre est celle des principes et de la volonté. Quels principes doivent gouverner cette profession d’avocat en entreprise ? Seule leur lecture permettra de voir si le projet est réalisable et d’intérêt réel. Quelle volonté ont les parties prenantes pour ensuite réaliser ce projet ? A défaut il trainera encore. Je ne doute pas cependant qu’il y ait de véritables bonnes volontés.
Pourquoi est-ce nécessaire selon vous de créer ce statut ?
Ce statut apporte la confidentialité au juriste d’entreprise. Celle-ci est plus que jamais nécessaire au regard de l’accroissement des activités internationales, de la concurrence dans le domaine du droit des autres places et systèmes juridiques, de la place du droit dans l’entreprise, de son évolution.
Prenez par exemple les programmes de conformité en droit de la concurrence. Comment réellement les mettre en oeuvre sans confidentialité ? L’avocat a obtenu assez récemment cette protection pour son activité de conseil, la cour de cassation la limitant auparavant à la seule activité judiciaire. L’activité du juriste d’entreprise est la poursuite de cette activité de conseil au sein de l’entreprise. Elle a besoin de cette protection tant pour l’amélioration de l’exercice du droit en France que pour la compétitivité internationale face aux autres systèmes juridiques qui en sont dotés.
Le statut d’avocat en entreprise, outre cette confidentialité, offre l’avantage de permettre une circulation des professionnels entre l’entreprise et le cabinet sous un même statut. Si cet avantage s’avère impossible à mettre en oeuvre dans l’immédiat, il faudra bien se résoudre à revenir à la seule confidentialité pour le juriste (solution dite "belge" qui crée une nouvelle profession réglementée distincte de celle d’avocat), étape qui n’empêcherait pas, la maturité venue, de passer enfin à l’avocat en entreprise.