Ketty de Falco, nouvelle présidente de Lefebvre Dalloz depuis février 2024, expose sa vision pour l'avenir de l'entreprise. Face aux défis de l'IA et de l'Open Data, elle mise sur la qualité du contenu et l'innovation technologique pour maintenir le leadership de Lefebvre Dalloz dans la connaissance juridique.
Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre arrivée chez Lefebvre Dalloz ?
J’ai 48 ans, diplômée de la faculté de Lille après une enfance et adolescence à l’étranger, notamment en Jordanie pendant plusieurs années. Cette expérience m’a construite et m’a aidée à m’intégrer dans différents milieux. Par ailleurs, j’avais une obsession celle de diriger des entreprises avec une histoire, un passé, pour faire mes propres choix, embarquer des équipes et obtenir des résultats, et j’ai choisi un secteur très concurrentiel : le marché des études Marketing et du conseil aux marques. C’est à l’âge de 34 ans que j’ai pu diriger une première entreprise, revendue depuis à Ipsos. Après 25 ans dans ce secteur (ma dernière expérience a été Kantar, le leader en data et conseil aux marques, durant 6 ans), je voulais remettre en question mes acquis de dirigeante dans un tout autre secteur.
Lefebvre Dalloz est une entreprise de 1200 salariés avec trois pôles d'activité : édition, formation, et logiciels et services. Mon arrivée coïncide avec un moment crucial puisque nous avons lancé GenIA-L, la première IA générative commercialisée en France utilisant exclusivement des contenus juridiques vérifiés et actualisés, provenant des fonds documents Lefebvre Dalloz. Ce fut un réel changement…
Quels sont vos principaux objectifs à la tête de Lefebvre Dalloz ?
Nos objectifs sont multiples. Comme je le conseillais à mes clients, nous devons maintenir une croissance forte du chiffre d'affaires qui est rendue possible par des clients très satisfaits et fidèles, qui nous font confiance et par une politique d’acquisition ciblée sur nos différents marchés (les professions réglementées, les entreprises et le secteur public). Nous souhaitons mettre l’accent sur les services à valeur en alliant deux éléments que nous possédons : une technologie de pointe et contenu de qualité issu de nos fonds documentaires.
Un autre objectif majeur est la transformation numérique de l'entreprise. Nous voulons que l'IA soit utilisée par l'ensemble de nos 1200 salariés, pas seulement par la R&D ou le marketing, et que nos clients en disposent bien évidemment. Nous transformons notre façon de produire et formons tout le personnel à ces nouvelles technologies.
Comment voyez-vous l'impact de l'intelligence artificielle sur le secteur de l'information juridique ?
Un des grands bouleversements que notre secteur a affronté ces dernières années a été l’Open data. Cela a déjà remis en question le modèle payant face au modèle gratuit, nous poussant à apporter plus de valeur. Aujourd'hui, l'arrivée de sociétés comme Harvey aux États-Unis, qui travaillent sur le contenu propriétaire des cabinets d'avocats, représente un nouveau défi.
Notre obsession est de démontrer la qualité de notre contenu qui est l’atout majeur de notre entreprise depuis des décennies, grâce au travail de mise à jour de nos rédacteurs et auteurs. Pour la partie technologique, nous avons développé notre propre module de vectorisation pour éviter les hallucinations de l'IA. Nous sommes confiants dans notre combinaison gagnante : un contenu de qualité, vérifié et actualisé régulièrement, et une IA générative contrôlée dans un environnement fermé et parfaitement sécurisé.
Comment protégez-vous vos contenus face à une potentielle utilisation non autorisée via l'IA ?
C’était une préoccupation à laquelle nous avons su répondre. En effet dans le cadre de notre produit IA GenIA-L nous avons mis en place une architecture grâce à laquelle nous ne délivrons pas nos contenus au LLM mais uniquement des fragments c'est ce que l'on appelle un RAG (retrieval augmented generation).
Quel a été l'impact financier du développement de votre nouvelle solution IA sur votre stratégie de prix ?
C'est une question complexe que nous avons beaucoup étudiée. Notre réflexion a porté sur l'accessibilité de nos services, pas seulement pour les grandes entreprises avec des directions juridiques, mais aussi pour les professions qui n'ont pas forcément accès à des ressources juridiques internes. Nous avons décidé de maintenir le prix du contenu tel quel, car le contenu reste le contenu. Nous avons travaillé sur un modèle de licence par utilisateur, considérant que nous offrons un service à forte valeur ajoutée par utilisateur dans un cabinet ou une entreprise.
Quelle est votre vision du marché et des utilisateurs potentiels de vos solutions ?
Nous pensons que nos utilisateurs vont se diversifier. Nos offres s'adressent désormais à des professions au-delà des juristes. Nous avons fait le pari de proposer des informations fiables et synthétiques accessibles à tous, même depuis un téléphone mobile, sans accès direct aux sources.
Envisagez-vous d'élargir votre marché aux particuliers ?
Nous avons envisagé cette possibilité, mais nous resterons sur le B2B. Nous ne sommes pas une legaltech et notre positionnement est différent. Nous voulons nous concentrer sur les professionnels et les entreprises.
Quels sont les autres défis que vous devez relever ?
Un enjeu majeur est d'être présent dans l'environnement de travail des professions réglementées. Nous devons nous intégrer à leurs outils quotidiens, que ce soit Microsoft Office ou leur ERP. Nous avons récemment annoncé un partenariat avec Diapaz dans cette optique.
Notre stratégie est claire : protéger nos contenus, les rendre de la plus haute qualité possible avec des mises à jour fréquentes. L'IA met en évidence l'importance de la qualité et de l'actualisation des données. Nous investissons donc fortement dans nos équipes de rédaction pour maintenir notre position de meilleur contenu associé à la meilleure technologie.
Craignez-vous la concurrence des grands modèles de langage comme ChatGPT ?
Notre force réside dans la combinaison de contenus de qualité et de technologie avancée. Nous nous différencions par la fiabilité et la traçabilité de nos informations. Notre objectif est de continuer une croissance pérenne tout en mettant en avant notre transformation numérique, qui nous éloigne de l'image traditionnelle de l'éditeur juridique.
Propos recueillis par Arnaud Dumourier