En l'espèce, la saisie des données électroniques protégées par le secret professionnel avocat-client et le refus de les restituer ou de les détruire ne répondaient pas à un besoin social impérieux et n’étaient pas nécessaire dans une société démocratique.
Dans cette affaire, les requérants, qui sont avocats, se plaignaient de la saisie de leurs données électroniques par les autorités judiciaires pour les besoins d’une procédure pénale dirigée à l’encontre d’un autre avocat qui partageait le même bureau qu’eux.
Dans un arrêt du 3 décembre 2019, la Cour européenne des droits de l'Homme note que les requérants, qui n’étaient pas visés par l’enquête pénale, ont fait valoir devant les autorités judiciaires que les données électroniques saisies leur appartenaient et relevaient du secret professionnel avocat-client.
Elle relève aussi que le juge assesseur de la cour d’assises, dans son ordonnance de perquisition, a indiqué d’une façon large l’étendue des perquisitions, en énonçant le but de l’opération comme "recueillir les éléments de preuve et saisir les objets" qui pourraient montrer que le suspect menait des activités au sein de l’organisation terroriste KCK/PKK. L’ordonnance ne précisait pas quels objets ou documents concrets ou spécifiques devaient être trouvés aux adresses mentionnées, y compris au cabinet d’avocats des requérants, ni comment ces éléments seraient pertinents pour l’enquête pénale. L’ordonnance a permis ainsi aux autorités chargées de l’enquête d’examiner, en termes généraux, toutes les données électroniques se trouvant dans les bureaux des requérants, sans tenir spécialement compte qu’il s’agissait d’un cabinet d’avocats et qu’il pourrait y avoir des documents déposés par des clients à leurs conseils.
En outre, l’ampleur large de l’ordonnance s’est reflétée dans la manière dont elle a été exécutée. Bien qu’un représentant du barreau d’Istanbul et une requérante aient assisté à la perquisition et que les données saisies aient été placées dans un sac scellé, aucune autre mesure de protection spéciale n’a été prise contre l’ingérence dans le secret professionnel. En effet, aucune procédure de filtrage des documents ou des données électroniques protégés par le secret professionnel, ni aucune interdiction explicite de saisir des données protégées par ce secret n’ont été imposées pendant la perquisition. Au contraire, l’ensemble des données se trouvant sur le disque dur de l’ordinateur utilisé conjointement par les avocats qui partageaient les locaux et sur une clé USB ont été saisies.
Or, une fois le secret professionnel des relations avocats-clients invoqué et le retour des données électroniques saisies demandé, la loi imposait aux autorités judiciaires une obligation de procéder rapidement à un examen des données saisies et, le cas échéant, de restituer aux intéressés ou de détruire les données protégées par ce secret.
Toutefois, la législation et la pratique du droit national n’étaient pas claires sur les conséquences attribuées à un éventuel manquement par les autorités judiciaires à cette obligation.
En effet, la cour d’assises a définitivement refusé la restitution ou la destruction des copies saisies des données, avec une motivation mentionnant seulement la régularité des actes de perquisition effectués dans les bureaux, en laissant sans réponse l’allégation spécifique d’une atteinte à la confidentialité des relations avocats-clients. Il semble que la cour d’assises ait implicitement accepté les raisons soulevées par le parquet pour justifier le refus du retour des données saisies : à savoir, le fait que, ces données n’étant pas encore transcrites, on ne pouvait savoir à qui elles appartenaient exactement.
Pour la Cour, un tel motif de rejet n’est non seulement pas clairement prévu par la loi, mais s’avère également contraire à l’essence du secret professionnel protégeant les relations avocats-clients.
En tout état de cause, on ne saurait conclure que l’examen de la demande des requérants par les autorités judiciaires ait été en conformité avec l’obligation d’assurer un contrôle particulièrement rigoureux des mesures concernant les données relevant du secret professionnel des avocats.
Par conséquent, les mesures imposées aux requérants (la saisie de leurs données électroniques et le refus de les restituer ou de les détruire) ne répondaient pas à un besoin social impérieux, n’étaient pas proportionnées aux buts légitimes visés (la défense de l’ordre, la prévention des infractions pénales et la protection des droits et libertés d’autrui), et n’étaient pas nécessaires dans une société démocratique.
Il y a donc eu violation de l’article 8 de la Convention EDH.