Le dispositif Dutreil-transmission connaît un nouveau chapitre avec les récents projets du ministère des Finances envisageant l'imposition d'un plafond de trésorerie dans les sociétés transmises sous un pacte Dutreil. Cet article de Stéphanie Négre, associée, Lerins explore les enjeux et les interrogations soulevés par cette proposition, ainsi que ses possibles implications pour les entreprises concernées.
Mis en place le 1ᵉʳ janvier 2000, le dispositif « Dutreil-transmission » vise à favoriser la continuité et la pérennité des entreprises familiales et dans cette perspective exonère, sous conditions, les transmissions d’entreprises par décès ou entre vifs de droits de mutation à titre gratuit à concurrence des trois quarts de leur valeur.
Parmi les conditions requises pour bénéficier de ce dispositif, les entreprises dont les titres sont transmis doivent avoir une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.
Toutefois, compte tenu de la structuration des groupes, il est admis que les titres de sociétés interposées (« sociétés holding ») soient également éligibles au dispositif dès lors que ces sociétés ont pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de leur groupe et au contrôle de leurs filiales exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale et, le cas échéant et à titre purement interne, la fourniture à ces filiales de services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers[1].
C’est dans le contexte d’une jurisprudence itérative sur la qualification des activités éligibles au dispositif Dutreil-transmission qu’intervient le projet de Bercy d’imposer un niveau maximum de trésorerie dans les sociétés susceptibles d’être transmises.
La trésorerie des sociétés transmises est en effet un véritable enjeu puisqu’en dehors du dispositif, elle serait imposée classiquement aux droits de donation ou succession mais dans le cadre du dispositif Dutreil transmission, elle échappe aux trois quarts de cette imposition dès lors qu’elle est affectée à l’activité de l’entreprise transmise. L’enjeu est d’autant plus significatif lorsque les titres transmis sont ceux d’une société holding puisque ce type de sociétés ayant vocation à gérer un portefeuille de titres, elles sont amenées à céder des participations et concentrer la trésorerie des groupes dans la perspective de futurs investissements.
La Cour de cassation a ainsi récemment rappelé qu’une société n’a pas pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de son groupe et au contrôle de ses filiales exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale dès lors que sa trésorerie, dont la valeur représente plus de 50 % de la valeur totale de ses actifs, ne peut être présumée affectée à son activité d’animation et de contrôle de ses filiales[2].
Il s’agirait donc en imposant un « plafond » de trésorerie dans les sociétés transmises sous un pacte Dutreil d’une part d’éviter la localisation artificielle de trésorerie dans l’entreprise et d’autre part de promouvoir l’investissement de ces entreprises dans des activités visées par le dispositif, c’est-à-dire des activités commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale.
Cette nouvelle condition soulève toutefois plusieurs questions.
Tout d’abord celle de la place laissée aux décisions de gestion des entreprises. Cette notion, souvent utilisée comme rempart à l’immixtion de l’administration fiscale, permet aux entreprises de ne pas se voir opposer par l’administration fiscales leurs choix impliqués par la conduite de l’entreprise lorsque les conséquences de ceux-ci se sont avérées malencontreuses pour l’entreprise. Au cas particulier, en imposant un plafond de trésorerie, Bercy interviendrait directement dans la stratégie financière des entreprises ayant contracté un Pacte Dutreil en leur imposant soit de servir leurs associés ou soit d’investir pour ne pas excéder le plafond de trésorerie et ne pas rompre leur pacte.
La seconde question, intrinsèquement liée à la première, est celle de la durée pendant laquelle l’entreprise pourrait excéder le plafond. Il est en effet peu probable qu’une cession générant un surcroit de trésorerie soit immédiatement suivie d’une acquisition. La remontée des taux et la frilosité des banques, comme des entreprises, à investir ces derniers mois témoignent de l’aléa lié à la croissance externe. Dans ce contexte, il semble impératif que le plafond soit assorti d’un délai de dépassement autorisé en adéquation avec la vie des affaires. Il serait dommageable et contraire à l’esprit du dispositif Dutreil-transmission que la mesure conduise les entreprises à se dessaisir de leur trésorerie de façon forcée au profit de leurs associés et ainsi à se fragiliser financièrement pour l’unique motif du respect d’un pacte.
Enfin se pose la question du montant de ce plafond. De la même manière qu’est défini l’abandon d’une activité par un seuil de chiffre d’affaires, d’actif brut et d’employés, on pourrait imaginer que le plafond serait déterminé à l’aide d’un certain nombre d’éléments clés permettant d’évaluer l’activité de l’entreprise et ses besoins. Comme est née l’« EBITDA fiscal » pourrait naitre un BFR Dutreil, notion économique détournée pour les seuls besoins de la fiscalité.
Stéphanie Négre, associée, Lerins
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[1] CE, plén., 13 juin 2018, n°395495, Cass. Com., 14 octobre 2020, n°18-17.955
[2] Cass. com. 11-10-2023 n 21-24.760 F-D