L’intelligence artificielle est utilisée depuis des années, mais son caractère technique en réservait jusqu’alors l’usage à une poignée de sachants. Désormais, son accessibilité et sa démocratisation en font un outil quotidien pour de nombreux professionnels. Loin de l’« IA anxiété », les juristes et avocats ont encore en réalité de beaux jours devant eux.
Nombre de solutions embarquant de l’intelligence artificielle sont aujourd’hui intégrés à la pratique juridique. La richesse des bases de données, le gain de temps et la simplification du travail d’analyse offert par l’IA en font un allié indéniable, et ce n’est vraisemblablement que le début.
Toutefois, selon la qualité de la solution utilisée, de ses méthodes d’entraînement, de l’existence possible de biais, de la fiabilité et de la fraîcheur des informations intégrées au système, les résultats obtenus peuvent être plus ou moins exploitables, voire complètement incorrects ou délirants, lorsqu’une IA générative « hallucine » et propose une réponse absurde ou inventée bien qu’en apparence sérieuse et crédible. C’est pourquoi l’Homme en général et le professionnel du droit en particulier ont un rôle clé à jouer, en particulier en termes d’analyse et d’interprétation.
Le juriste doit être en première ligne et embarqué dès l’origine lorsque le recours à un outil d’intelligence artificielle est décidé, car il occupe une fonction stratégique dans le succès de ces opérations, notamment en termes de légalité, de sécurité, de pérennité et de gouvernance.
On pense inévitablement aux aspects contractuels qui doivent être pris en compte dans la concrétisation et l’encadrement de ces projets, mais également à l’intégration de ces outils au sein des entreprises et de leurs systèmes informatiques, qui génère, elle aussi, de nombreuses conséquences notamment sur le plan réglementaire.
De plus, les sujets liés à la propriété intellectuelle, à la conformité au RGPD, et désormais la mise en place de l’IA Act doivent être pris en compte et anticipés.
L’entraînement et l’utilisation des systèmes d’IA posent également des questions juridiques essentielles. Par exemple, selon les cas, les données utilisées (ou « dataset »), qui, par définition, doivent être qualitatives et nombreuses, peuvent être protégées par des droits de propriété intellectuelle. Il convient dès lors de s’assurer de la licéité de leur utilisation pour éviter toute difficulté avec les ayants droits. Les données utilisées peuvent également constituer des données personnelles, et leur collecte et traitement doivent alors impérativement se faire dans le respect du cadre réglementaire.
Autre sujet clé, l’effet « boîte noire », qui n’est pas non plus sans incidences juridiques.
En effet, les systèmes de machine learning, capables d’apprentissage sur la base d’une quantité importante de données, se comportent de façon très opaque. Le fonctionnement de ces systèmes et de leurs réseaux de neurones est si complexe qu’il n’est en pratique pas possible d’en retracer le cheminement ou le raisonnement. Cela peut avoir des conséquences majeures en termes de responsabilité. Dès lors, l’utilisateur ne peut compter que sur ses compétences personnelles pour examiner et évaluer le résultat généré.
Dans le domaine juridique, seul le professionnel du droit pourra procéder à une revue critique, et faire le tri afin d’écarter tout raisonnement qui pourrait être erroné, obsolète ou inapplicable en l’espèce.
L’exploitation des résultats générés par certains systèmes d’intelligence artificielle, autrement appelés « outputs » pose également des questions de droit.
Il s’agit non seulement de s’assurer que les résultats produits peuvent être utilisés sans porter atteinte aux droits antérieurs de tiers, mais également de savoir dans quelle mesure un contenu généré par intelligence artificielle peut être lui-même protégé par un droit de propriété intellectuelle. À ce jour, cette question de la protection des contenus générés par intelligence artificielle est posée à de nombreux juristes et tribunaux à travers le monde.
On le comprend, l’implémentation et la généralisation de l’IA nécessitent une supervision importante de la part des professionnels du droit, la matière grise est loin d’avoir dit son dernier mot.
Loin d’être menacés ou relayés au second plan par les systèmes d’intelligence artificielle, les avocats et juristes ont, par leur compétence et leur expérience, un rôle clé à jouer dans le choix, la mise en place et l’utilisation de ces outils.
Camille Raclet, Avocate, Advant Altana