Depuis quelques années, les pays anglo-saxons ont développé le concept de Fashion Law pour désigner le domaine en pleine ébullition du droit de la mode et du luxe. Paris et Milan, qui excellent dans ces secteurs, se saisissent à leur tour des nouveaux enjeux légaux qui bouleversent cette industrie.
Il s’agit bel et bien d’un paradoxe : le droit de la mode n’existe pas encore en Europe, alors même que le secteur du luxe est un domaine d’excellence en France et en Italie. À l’inverse, les Etats-Unis sont déjà familiers du domaine de la Fashion Law, notamment à New York, où un programme entièrement dédié au droit de la mode a été créée à Fordham University il y a quelques années. Le retard pris par l’Europe pourrait toutefois être rapidement effacé.
La mode luxe et la mode grand public (« fast retail ») sont désormais au diapason
À l’origine, tout opposait l’industrie du luxe et celle de la mode grand public. La première, haut de gamme, se caractérisait par sa qualité et sa créativité, tandis que la stratégie de la seconde était axée sur les volumes de vente grâce à des prix très abordables.
Le secteur de la mode a toutefois bien évolué et la frontière entre le luxe et le « fast retail » est devenue beaucoup plus floue. Chacune des deux industries s’inspire désormais des codes de l’autre. L’industrie du luxe s’inspire par exemple du prêt-à-porter de masse en proposant davantage de collections par an et en se
développant dans le domaine de la vente en ligne. À l’inverse, la mode grand public s'inspire des pratiques des enseignes de luxe en ouvrant désormais des boutiques dans les quartiers les plus prisés dans les grandes capitales, notamment sur les Champs-Elysées à Paris.
Le comportement des consommatrices illustre également cette disparition des frontières : il est par exemple de plus en plus courant de s’habiller dans des boutiques grand public tout en possédant un accessoire acheté dans une enseigne de luxe. Les plus grands noms des créateurs de mode participent également à faire disparaître cette frontière en créant des collections capsules pour les groupes de prêt-à-porter de masse. Le premier fut Karl Lagerfeld, qui a réalisé une collection pour H&M. En somme, les deux industries coexistent et se rapprochent en essayant de fonctionner sur des modèles semblables tout en gardant leurs spécificités.
Le digital et l’intelligence artificielle s’invitent au cœur de la mode
De nombreuses startups se lancent par ailleurs dans le domaine de la mode en mettant en œuvre de nouveaux concepts, synonymes de nouveaux enjeux sur le plan juridique. L’introduction de l’intelligence artificielle, en particulier dans le domaine du « fast retail », commence par exemple à bouleverser le secteur. Des ordinateurs
sont désormais capables d’anticiper le comportement du consommateur et conceptualiser de nouvelles marques en s’adaptant à tout moment aux couleurs et aux formes les plus en vogue. Une question se pose toutefois : si ces marques et leur gamme de produits sont désormais créées par des logiciels, à qui appartiennent-elles ? Au créateur des logiciels, ou au fabricant des vêtements ?
De même, certaines boutiques d’un nouveau genre proposent désormais des cabines d’essayage fonctionnant par une méthode de « screening » corporel pour trouver le style de vêtements le mieux adaptée à chaque morphologie des clients sans que la boutique n’ait besoin de gérer des stocks en magasin. Le fait de traiter des
données personnelles nécessite néanmoins un important encadrement juridique.
Le monde de la mode, en pleine mutation, fait également face à d’autres enjeux juridiques plus généraux. La digitalisation des réseaux de distribution nécessite d’importantes réorganisations avec des fermetures de points de vente, et la forte progression des ventes en ligne soulève également des sujets juridiques et fiscaux notamment liés aux ventes transfrontalières. Le droit de la mode et du luxe se développe en Europe
Tous ces enjeux sont au cœur du droit de la mode et du luxe qui existe aux Etats-Unis mais n’est pas encore clairement formalisé en Europe.
Sur le Vieux continent, le droit de la mode et du luxe reste encore associé et confondu avec le droit des marques. Il s’agit pourtant d’un domaine bien plus large car la Fashion Law inclut également de nombreuses autres spécialités du droit : droit de la consommation, droit fiscal, droit de l’environnement, règles éthiques de gouvernance, ou encore droit social, qui occupent une place majeure pour réglementer les conditions de travail liées à la fabrication des vêtements dans des pays non-européens, notamment en Asie. Les domaines couverts par le droit de la mode et du luxe sont donc très larges et se situent à la croisée des chemins entre ces différentes spécialités. Face à cette complexité, les entreprises du secteur sont nombreuses à avoir recours aux services d’un cabinet d’avocats l pluridisciplinaire permettant aux entreprises d’être bien accompagnées.
Comme indiqué, les formations autour du droit de la mode se sont développées aux Etats-Unis... Cela n’est pas encore le cas en France ni en Italie, mais des initiatives en ce sens s’apprêtent à voir le jour aussi bien à la Sorbonne qu’à la Bocconi à Milan. L’Europe n’en est donc encore qu’à ses balbutiements dans le domaine du droit de la mode et du luxe, mais est bien décidée à saisir sa chance pour rattraper son retard !
Christine Blaise-Engel, Partner Corporate M&A chez Fidal