Forte des 39 auditions menées par sa mission de suivi, la commission des lois du Sénat a procédé à une évaluation concrète des mesures prises par les pouvoirs publics pour faire face à l’épidémie de Covid-19, tant au niveau national qu’au niveau local, poursuivant les travaux qu’elle avait entamés dès la promulgation de la loi d’urgence du 23 mars 2020 avec son premier rapport.
Elle appelle l’attention sur plusieurs difficultés constatées sur le terrain, notamment en ce qui concerne l’accès à la justice, le contrôle du confinement par les forces de l’ordre et le traçage numérique.
S’agissant de la situation de la justice, la mission relève que les plans de continuité de l’activité (PCA) ont privilégié dans un premier temps, à juste titre, une réduction de la présence physique dans les locaux judiciaires au minimum, mais que l’inadéquation du télétravail à l’accomplissement d’un grand nombre des tâches incombant aux greffes et la dématérialisation inaboutie des procédures, en particulier civiles ont conduit à une limitation drastique de l’activité juridictionnelle. Les aménagements apportés aux règles de procédure par les ordonnances du 25 mars 2020, destinées à assurer la poursuite du travail de la justice dans des conditions simplifiées permettraient d’accroître l’activité juridictionnelle, sous réserve du respect des droits fondamentaux, mais la mission regrette, qu’à sa connaissance, des instructions n’aient pas été adressées aux chefs de juridictions par la Chancellerie pour revoir à la hausse les plans de continuité sur cette base.
Les forces de sécurité intérieure, police et gendarmerie, auxquelles il convient d’associer la sécurité civile et les sapeurs-pompiers, ont été fortement sollicitées depuis l’entrée en vigueur de l’état d’urgence sanitaire. La mission de suivi s’inquiète que policiers et gendarmes n’aient pas été dotés des matériels de protection nécessaires pour assumer leurs fonctions de surveillance du respect des règles de confinement en toute sécurité, pour eux-mêmes, leurs familles et la population. Il importe selon elle que les forces de sécurité soient massivement dotées de masques, de visières et de gels hydroalcooliques et voient leur accès aux tests de dépistage assuré de manière appropriée.
En outre, deux séries de difficultés sont apparues dans le contrôle des règles de confinement, qui a donné lieu, au 23 avril, à 15,5 millions de contrôles et 915.000 procès-verbaux.
Tout d’abord, pour constater des infractions aux règles du confinement, le ministère a utilisé le fichier des infractions au code de la route, dénommé ADOC, sans s’assurer de la régularité de l’élargissement des finalités de ce fichier à ce type d’utilisation. La situation a depuis lors été régularisée, mais cette erreur est de nature à fragiliser certaines procédures judiciaires engagées pour violation réitérée du confinement. Ensuite, il est apparu, en particulier au cours des premières semaines de confinement, une appréciation parfois hétérogène du bien-fondé des attestations de dérogation. Cette situation est d’autant moins acceptable que les agents et officiers de police judiciaire peuvent, dans ce cadre, prononcer des amendes forfaitaires pour des contraventions de la cinquième classe, jusqu’alors soumises à l’appréciation du tribunal de police. Pour prévenir les risques contentieux, le ministère de l’intérieur doit donc continuer à diffuser régulièrement des instructions précises, nécessaires pour uniformiser les pratiques de ses propres services.
En prévision de la nouvelle étape de la lutte contre le Covid-19 que sera le déconfinement, la mission de suivi a été particulièrement attentive à la configuration du dispositif de traçage numérique envisagé par le Gouvernement pour permettre l’information rétrospective de chaque citoyen sur son exposition à un risque particulier de contamination du fait des personnes rencontrées. Elle a pris connaissance des garanties que le Gouvernement s’est engagé à respecter et des observations présentées par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).
Ces garanties ne répondent qu’en partie aux préoccupations qui se sont exprimées dans le débat public pour la protection de données sensibles relatives à la santé. De nombreuses réserves doivent encore être levées. Subsistent également de sérieux obstacles à l’efficacité réelle du dispositif numérique de traçage proposé, eu égard au nombre de porteurs du virus asymptomatiques et à l’importance de la population qui ne détient pas de smartphone adapté ou n’est pas à même de l’utiliser, du fait de la « fracture numérique ». En outre, dans le cadre de la « stratégie de déconfinement » annoncée par le Premier ministre, la solution numérique envisagée ne pourrait intervenir qu’en complément d’autres actions, en accompagnement d’une infrastructure sanitaire puissamment dimensionnée pour conseiller, évaluer, tester et traiter les utilisateurs que l’application signalerait comme à risque.
Les conditions d’une mise en place de ce dispositif à la fois pleinement respectueuse de la protection de la vie privée et pleinement efficiente seront pratiquement impossibles à réunir dans le délai rapproché que le Gouvernement s’est imposé lui-même pour la fin du confinement généralisé.
Enfin, la mission a apporté une attention toute particulière aux initiatives prises par les collectivités territoriales, constatant leur très grande réactivité, et même leur agilité, pour contribuer à la gestion de la crise sanitaire et au maintien, autant qu’il était possible, de l’activité économique et sociale.
Pour faciliter le déconfinement progressif et la reprise de l’activité qu’il induira, il faudra mettre fin à la période intérimaire actuelle dans nos communes en procédant, si possible dès la fin du mois de mai, à l’élection des maires et de leurs adjoints dans les 30 143 communes dans lesquelles l’élection municipale a été conclusive dès le premier tour de scrutin. C’est pourquoi la mission de suivi a saisi le comité de scientifiques le 16 avril dernier, afin qu’il se prononce le plus rapidement possible sur les règles sanitaires à respecter pour installer les conseils municipaux.
Tout en saluant l’engagement des maires dont le mandat a été prolongé pendant quelques semaines, parce qu’ils ont joué un rôle majeur face à la crise, il est temps que se mettent en place les nouvelles équipes qui, seules, pourront entreprendre les projets d’équipements permettant la reprise de l’investissement public attendu aujourd’hui par de nombreuses entreprises. Demain, communes et intercommunalités devront avoir la légitimité nécessaire pour participer au redressement de l’économie et assurer une solidarité de proximité. Elles devront être en ordre de bataille.
Selon Philippe Bas, président de la commission : « Les travaux menés par la mission de suivi, qui s’inscrivent dans la fonction de contrôle du Parlement, que le Sénat s’emploie à remplir dans un esprit d’indépendance, d’impartialité et de pluralisme, font apparaître des interrogations sur certains choix d’organisation et certaines orientations que le Gouvernement a dû retenir dans l’urgence. Sans nier la réactivité dont les pouvoirs publics, au niveau national comme au niveau local, ont pu faire preuve, elle ne saurait masquer l’impréparation dans laquelle notre pays s’est trouvé il y a trois mois. Il faudra s’en souvenir une fois surmontée cette crise sanitaire pour ne pas reproduire nos erreurs le jour où surviendrait une nouvelle pandémie. Nous aurons certainement besoin demain d’une grande loi sur l’organisation de la Nation en temps de crise sanitaire, sur le modèle de ce qui existe pour l’organisation de la Nation en temps de guerre : c’est l’une des grandes leçons à tirer du Covid-19 ».
L’ensemble de ces observations ont été présentées à la commission des lois, réunie en visioconférence le 29 avril, et seront transmises au Premier ministre.
L'analyse de la mission de suivi sera disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/commission/loi/missions_de_controle/mission_de_controle_sur_les_mesures_liees_a_lepidemie_de_covid_19.html