Interview de Solène Brugère et Jean-Georges Betto (ACE), candidats au Conseil de l’Ordre de Paris

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En partenariat avec Le Monde du Droit, le Club AvoTech, premier « do tank » des avocats créateurs de legaltech en France, a décidé d’interpeller les candidats au Conseil de l’Ordre de Paris, sur leur vision de l’avocat de demain. Aujourd’hui, Solenne Brugère et Jean-Georges Betto (ACE) répondent aux questions de Mathieu Davy, Avocat, Président d’AvoTech.

Selon votre profession de foi, vous souhaitez « porter les valeurs de l’entreprenariat auprès du Conseil de l’Ordre de PARIS » : l’avocat du futur est-il un entrepreneur ?

SB : L’avocat est un entrepreneur du droit ayant la particularité d’avoir pour socle notre déontologie. Il évolue dans un monde en pleine mutation. L’objet de notre candidature soutenue par l’ACE est d’accompagner la profession pour l’aider à faire face aux éventuelles difficultés rencontrées et saisir les opportunités créées.

JGB : L’avocat doit se comprendre comme un acteur de l’économie sans renoncer à son serment d’humanité ni au caractère libéral de la profession. En se comportant en entrepreneur il a tout à fait les moyens non seulement d’affronter la mutation de la profession et même de nourrir ou de construire un succès.

Vous connaissez ce fameux article 111 du Décret Macron qui permet depuis sa modification en 2016 à tout avocat, à côté de son cabinet, de développer, de gérer et de piloter une activité commerciale connexe et accessoire, vous soutenez cette double casquette ?

JGB : Cet article est un outil pour permettre aux avocats d’être aux premières places de la mutation numérique de notre profession au lieu de subir ce que l’on appelle l’ubérisation du marché du droit. C’est l’idée, foncièrement, que l’avocat, dans cette transformation numérique, doit prendre en main son avenir, et notamment s’embarquer dans l’aventure des legaltech.

Nous savons à l’ACE depuis longtemps que la frontière entre activités commerciales et activités civiles était de plus en plus mince. La jurisprudence considérait déjà la notion d’activité civile accessoire et de nombreux confrères avançaient en ce sens. Jusqu’au Décret Macron, tout ceci existait mais ne pouvait être assumé. Cette réforme était indispensable.

SB : Ce texte pose des difficultés d’interprétation et n’est pas appliqué de manière uniforme dans les différents barreaux, ce qui freine des initiatives qui vont dans le bon sens. Il y a des débats sur la notion de client, la notion d’accessoire ou de connexité et ce alors même que nous connaissons parfaitement les intentions des auteurs du texte. Pourquoi ne pas envisager de renverser la logique en autorisant toute activité économique sous réserve qu’elle ne contrevienne pas au serment de notre profession ?

Certains barreaux ont tendance à ne pas appliquer l’article 111, refusant de reconnaitre ce droit octroyé par le législateur. Qu’en pensez-vous ?

JGB : Il appartient au Conseil National des Barreaux d’ériger une doctrine nationale et le barreau de Paris doit être force de proposition auprès de l’instance nationale en ce sens. Le barreau de Paris peut présenter eu CNB les projets de legaltech soutenus et le raisons de ce soutien, pour permettre de lever les obstacles déontologiques soulevés par d’autres Barreaux.

SB : Le Barreau de Paris a un rôle clef dès lors qu’il a l’opportunité de rencontrer beaucoup plus de projets de legaltech qu’il soutient d’ailleurs via l’Incubateur. L’Incubateur a été un modèle ayant inspiré d’autres Barreaux. Nous sommes conscients que ce soit difficile pour certains barreaux de disposer d’une doctrine claire. Ils n’ont pas forcément toutes les ressources pour prendre position et en cela le CNB est un acteur majeur au sein duquel il faut influer.

Il est parfois compliqué d’être le manager de son Cabinet et d’avoir à côté une autre activité commerciale, comment faciliter les initiatives d’avocats qui seraient tentés par l’entrepreneuriat ?


JGB : Nous devons former nos Confrères en leur donnant les outils de la transformation numérique de leur cabinet. Le Barreau entrepreneurial et l’Incubateur de Paris contribuent à cette démarche. La difficulté supplémentaire pour les Legaltech réside dans la nécessité de mobiliser des capitaux très importants. S’il est difficile d’affecter les deniers provenant des cotisations ordinales au financement d’initiative privée, notre institution pourrait faciliter le rapprochement de ces avocats entrepreneurs avec des investisseurs.

SB : Le fait que les confrères soient impliqués dans le développement de ces solutions innovantes constitue selon nous une garantie du respect de notre déontologie que nous avons tous à cœur de protéger. Egalement, l’Ordre pourrait encourager encore plus la formation à l’entrepreneuriat. Il y a des formations passionnantes et devenir un meilleur entrepreneur est utile autant à la tête de son cabinet que dans une legaltech !

Si je comprends bien, vous pourriez porter l’idée au Conseil d’apporter des moyens matériels et humains aux avocats entrepreneurs pour faciliter l’amorçage de leurs projets ?

JGB : Oui. Pourquoi ne pas envisager que l’Incubateur du Barreau de Paris se rapproche d’un établissement tel que la Station F pour proposer aux avocats qui souhaitent s’engager dans la création de legaltech des formations spécifiques, des rencontres avec des experts (développeurs, business angels …) et un espace d’échanges et d’émulations ?


SB : Dans le cadre de sa campagne, le Bâtonnier élu a émis le souhait d’ouvrir les réflexions du Conseil de l’Ordre aux experts du numérique, avocats ou non, afin d’enrichir les travaux menés dans l’intérêt de toute la profession.

Les fonds extérieurs nous renvoient souvent vers notre profession, au prétexte qu’on servirait en premier les avocats. Pourriez-vous porter l’idée d’un cercle de Business Angel Avocats qui aiderait à lancer les legaltech avocats ? ou d’une plateforme de crowdfunding propre à la profession ?

JGB : Tant que notre déontologie est respectée et tant que les deniers et cotisations de nos Confrères ne sont pas en jeu, favorisons la consolidation des business plans des legaltech par les avocats. Ce cercle devra être une initiative privée, sinon il pourrait être compliqué de justifier du choix de tel ou tel projet.

SB : Certains de nos Confrères peuvent en effet souhaiter investir pour soutenir des projets innovants. A titre personnel, j’ai pu développer un projet de jeu destiné à favoriser les relations intergénérationnelles grâce à un financement via une plateforme de crowdfunding. C’est comme cela que les start-up se développent, donc inspirons-nous de leurs expériences pour les legaltech.

Toute start-up a aussi besoin de communication pour se lancer. Est-ce que vous pourriez porter l’idée que les avocats qui entreprennent soient présents sur les différents supports de communication de l’Ordre ?


SB : Je suis pour donner une meilleure visibilité aux initiatives et talents de nos Confrères.

JGB : Essayons de nouer un consensus dans la profession pour que les avocats prennent en main leur avenir en construisant eux-mêmes leurs start-up, et non en subissant des legaltech proposées par le secteur non réglementé.

Une étude récente révèle que 85 % des justiciables vont désormais chercher la solution à leur problème juridique, sur internet. Ça vous inspire quoi ?

JGB : C’est l’effet Doctissimo. Le fait que les justiciables accèdent à des informations juridiques sur internet ne remet pas en cause l’avenir de notre profession. Bien au contraire, cela démontre toute l’étendue du besoin de droit. La valeur ajoutée de l’avocat se trouve dans la prise en compte des faits de l’espèce, la définition d’une stratégie et les garanties qu’offrent le secret professionnel et notre déontologie.

SB : Un ouvrage « Mutation dans l’univers des avocats, tectoniques et horizons » publié par l’ACE, notamment au chapitre « l’avocat 4.0 », prévoit qu’en 2021 les bases de données juridiques que nous connaissons seront toujours utilisées, mais qu’il y aura également des plateformes de mise en relation, la blockchain, des chatbots, l’intelligence artificielle, qui sont des nouveaux enjeux aussi pour les cabinets. Les compétences vont aussi évoluer. On ne va plus demander la même chose à l’avocat et sa valeur ajoutée va s’orienter toujours vers la résolution des problèmes complexes, l’esprit critique, la créativité et son humanité.

Petit jeu de « retour vers le futur », vous venez de prêter serment tous les deux cette année, quels seraient vos réflexes, pour émerger dans la profession, pour tisser votre réseau et développer votre clientèle personnelle ?

SB : J’intègre la section jeune de l’ACE qui porte des valeurs progressistes et ouvertes sur le monde avec réalisme. Je réfléchis à mon positionnement sur un secteur d’activités, au-delà d’une expertise technique après avoir analysé le marché. J’écris des articles pour me faire connaître. Je participe à la vie du Barreau. Je crée du réseau et partage des dossiers avec des Confrères en fonction de leur expertise. Je me forme sur des notions de marketing, expérience client et je cherche à comprendre les besoins de mon marché.

JGB : Je ne m’installe pas tout de suite, je rentre dans un rapport de collaboration pour gagner en expérience. Je me forme dans le cadre du Barreau entrepreneurial et me lance. Je m’inscris sur Call A Lawyer pour être mis en relation avec des justiciables que je n’aurais absolument pas eu la possibilité de contacter autrement.

SB : Aujourd’hui, la technologie est une opportunité, une chance pour tous les Confrères d’être connus plus rapidement, d’être mis en relation avec un panel de clients plus large.

Quelle est votre conclusion sur cette vision de l’avocat de demain ?

JGB : Il est essentiel que les avocats prennent en main leur avenir numérique.
SB : Soyons optimistes, soyons acteurs de notre mutation et saisissons-nous de toutes les opportunités.

Interview réalisée par Mathieu Davy, Avocat, Président d’AvoTech


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