Est contraire au droit de l’Union le régime en vigueur en Pologne permettant au ministre de la Justice de déléguer des juges dans des juridictions pénales supérieures, délégation à laquelle ce ministre, qui est en même temps le procureur général, peut à tout moment mettre fin sans motivation (risque de contrôle politique du contenu des décisions judiciaires, notamment dans le domaine pénal).
Dans un arrêt du 16 novembre 2021 (affaires jointes C-748/19 à C-754/19), la Cour de justice de l'Union européenne précise que sont contraires au droit de l'UE des dispositions nationales selon lesquelles le ministre de la Justice d’un Etat membre peut, sur le fondement de critères qui ne sont pas rendus publics, d’une part, déléguer un juge auprès d’une juridiction pénale de degré supérieur pour une durée déterminée ou indéterminée et, d’autre part, à tout moment et par une décision qui n’est pas motivée, révoquer cette délégation, indépendamment de la durée déterminée ou indéterminée de ladite délégation.
La Cour souligne que, si le fait que le ministre de la Justice ne peut déléguer des juges qu’avec le consentement de ceux-ci constitue une sauvegarde procédurale importante, il existe toutefois une série d’éléments qui, selon la juridiction de renvoi, habilitent ce ministre à influencer ces juges et peuvent faire naître des doutes concernant leur indépendance.
La Cour énonce tout d’abord que, afin d’éviter l’arbitraire et le risque de manipulation, la décision relative à la délégation d’un juge et celle y mettant fin doivent être prises sur le fondement de critères connus à l’avance et être dûment motivées.
En outre, la révocation de la délégation d’un juge sans son consentement pouvant emporter pour ce dernier des effets analogues à ceux d’une sanction disciplinaire, une telle mesure devrait pouvoir être contestée en justice conformément à une procédure garantissant pleinement les droits de la défense.
Ensuite, relevant que le ministre de la Justice occupe également la fonction de procureur général, la Cour constate qu’il dispose ainsi, dans une affaire pénale donnée, d’un pouvoir s’exerçant à la fois sur le procureur de droit commun et sur les juges délégués, ce qui est de nature à susciter des doutes légitimes dans l’esprit des justiciables quant à l’impartialité des juges délégués.
Enfin, des juges délégués auprès de formations de jugement appelées à statuer dans les litiges au principal occupent également les fonctions d’adjoints de l’agent disciplinaire des juges des juridictions de droit commun, qui est l’organe chargé d’instruire les procédures disciplinaires diligentées contre des juges.
Or, le cumul de ces deux fonctions, dans un contexte où les adjoints de l’agent disciplinaire des juridictions de droit commun sont également nommés par le ministre de la Justice, est de nature à susciter des doutes légitimes dans l’esprit des justiciables quant à l’imperméabilité des autres membres des formations de jugement concernées à l’égard d’éléments extérieurs.
Envisagées conjointement, ces diverses circonstances sont, sous réserve des appréciations finales incombant à la juridiction de renvoi, de nature à pouvoir conduire à la conclusion que le ministre de la Justice dispose, sur le fondement de critères qui ne sont pas connus, du pouvoir de déléguer des juges auprès de juridictions de degré supérieur et de mettre fin à leur délégation, sans devoir motiver cette décision, avec pour effet que, au cours de la période pendant laquelle ces juges sont délégués, ils ne bénéficient pas des garanties ni de l’indépendance dont tout juge devrait normalement bénéficier dans un Etat de droit.
Un tel pouvoir ne saurait être considéré comme étant compatible avec l’obligation de respecter l’exigence d’indépendance.