Pour Mounir Mahjoubi, l'Etat va devoir prendre sa part dans la transformation numérique de la justice avec une philosophie de l'Etat plateforme. L'Etat doit ainsi créer toutes les conditions pour faciliter l'arrivée de nouveaux services ou l'optimisation de services existants en se basant sur les administrations et les communs, en leur apportant des données, des services ainsi qu'un socle de partage, avec au coeur de ce socle : la confiance.
A l'initiative du comité JUREM (Juristes En Marche), s'est tenue, le 20 juillet 2017, à l'Université Paris-Dauphine une réunion-débat sur la Justice numérique et les legaltechs en présence de M. Mounir Mahjoubi, Secrétaire d'Etat au Numérique.
Thomas Saint-Aubin, co-fondateur de Seraphin.legal et administrateur de l'ADIJ, a ouvert l'événement en définissant la legaltech comme "toute organisation qui propose, fournit et/ou développe des technologies au service du droit ou de l'accès à la justice". Il a d'abord présenté l’écosystème de la Legal Tech française. Il a ensuite évoqué comment la Legal Tech peut mettre sa technologie à disposition de l'Etat au travers du projet de Consortium eJustice dont la vocation est de proposer une collaboration constructive entre les entreprises de la Legal Tech et l’Etat par le développement d’un socle commun de technologies et de services pour une justice plus accessible. Selon lui, "l'Etat a tout pour devenir la première legaltech".
<< Comment faire si vous pensez que vous devez juger autrement alors vous avez des statistiques qui révèlent que 98 % des jugements sont rendus de telle manière ? >>
Puis, Sophie Schiller, Professeur de droit à l’Université Paris Dauphine, s'est réjouie de la réunion du numérique et du droit mais elle a également souligné les risques liés au développement des technologies.
S'agissant de l'utilisation des données, si les bases de données sont indispensables pour les professionnels du droit, "c'est ambitieux de penser que le grand public va pouvoir utiliser ce que nous-mêmes nous avons du mal à utiliser", affirme Sophie Schiller. De même, la justice prédictive constitue un vrai progrès en ce qui concerne l'harmonisation des décisions de justice et le désengorgement des tribunaux. Cependant, "la machine ne pourra jamais prendre en compte le contexte de la décision comme l'être humain" . Or, c'est important dans le cadre d'une décision de justice, même si cela n'est pas retraduit dans la décision. Une autre limite : la pression des statistiques sur le juge : "Comment faire si vous pensez que vous devez juger autrement alors vous avez des statistiques qui révèlent que 98% des jugements sont rendus de telle manière ?", s'est-elle demandée.
En ce qui concerne la blockchain, "l'impact est violent pour les professionnels du droit" dont certains comme les notaires ou les greffiers sont menacés de disparaître. En outre, Sophie Schiller voit un risque de développement d'un écosystème à deux vitesses avec des dossiers simples traités par des machines et des dossiers complexes qui restent l'apanage des êtres humains. Ce n'est pas sans conséquence sur la formation car, pour pouvoir traiter les dossiers complexes, il faut traiter les questions simples.
<< L'Etat doit prendre toute sa part dans la transformation numérique de la justice >>
En clôture de la conférence, Mounir Mahjoubi, Secrétaire d’Etat au Numérique, a indiqué que l'Etat doit prendre toute sa part dans la transformation numérique de la justice : "Une de mes principales missions, c'est la transformation numérique de l'Etat afin de constituer un Etat plateforme c'est-à-dire un Etat qui crée toutes les conditions pour faciliter l’arrivée de nouveaux services ou l’optimisation de services existants des administrations en se basant sur les administrations et sur les communs et donc les entreprises, les associations et les citoyens en leur apportant des données, des services et un socle de partage avec au cœur de ce socle : la confiance. L'Etat doit être le garant de la confiance".
Par ailleurs, le Secrétaire d'Etat au Numérique a trouvé l'idée de consortium eJustice intéressante mais "ce n'est pas forcément dans la culture française". "Je pense que le chemin, il est entre les deux. C’est à l’Etat de fournir le socle de confiance et de le garantir. Cette révolution doit venir de l’interconnexion avec les acteurs privés qui peuvent être des services issus d’entreprises comme des services issus d’autres formes. La Legal Tech est un secteur jeune à haut potentiel qui doit travailler autour de cette idée de confiance", a-t-il poursuivi.
Enfin, Mounir Mahjoubi a souligné la nécessité de réfléchir à la question des compétences des professionnels du droit parce que "dans tous les secteurs où le numérique est venu bouleverser la verticale économique, il y a la question de la place de chacun. Quelle est l’utilité qu’il apporte ? A chaque fois que l’utilité est questionnée, cet agent disparaît, dans cette verticale, assez rapidement. Les acteurs du droit doivent donc se poser la question de leur utilité. Il va donc falloir se poser la question des compétences, des transitions des métiers et des personnes."
Arnaud Dumourier (@adumourier)
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Je pense que le chemin, il est entre les deux. C’est à l’Etat de fournir le socle de confiance et de le garantir.