Le 12 septembre 2018, le Parlement européen a voté la directive sur le droit d’auteur que les eurodéputés avaient initialement rejetée quelques semaines auparavant. Claire Saint Laurent, Benoît Goulesque-Monaux, Marc Schuler et Inès Tribouillet du Cabinet Taylor Wessing nous livrent un regard croisé sur les apports de cette proposition.
Claire, quels impacts sur les droits des créateurs des contenus ?
Les objectifs de la proposition de directive sont clairs : concilier la nécessité de faciliter l’accès aux contenus avec la protection de leurs créateurs et combattre la disparité de rémunération entre diffuseurs de contenus numériques et titulaires de droits, autrement appelée "value gap".
Trois principes sont retenus et devront être transposés par les Etats membres dans leur droit national :
Une obligation de transparence : les sociétés du Net devront communiquer aux créateurs des informations sur l’exploitation de leurs œuvres (modes d’exploitation, recettes générées et rémunération due). La proposition de directive précise que cette obligation doit être proportionnée et effective.
L’adaptation des contrats permettant aux auteurs de demander une rémunération additionnelle lorsque leur rémunération initiale s’avère trop faible par rapport aux recettes de l’exploitation de l’œuvre. Le recours à un organisme impartial et expérimenté à la demande d’une partie est instauré.
Les Etats membres devront instituer une procédure spécifique volontaire de règlement extrajudiciaire des litiges.
Afin de faciliter l’accès aux contenus, la proposition de directive maintient les exceptions aux droits d’auteur et des droits voisins consacrées par la proposition initiale au regard des objectifs d’intérêt public fondamentaux ou de certaines utilisations revêtant une dimension transfrontière. Ainsi, une exception autorisant la fouille de textes et de données ("data mining"), une exception - cette fois-ci non-optionnelle - d’illustration à but éducatif et une exception relative aux utilisations des œuvres indisponibles par les institutions de gestion du patrimoine culturel sont consacrées.
Benoît, en quoi la proposition de directive est-elle une avancée pour la presse ?
La proposition de directive crée un droit voisin au profit des éditeurs de presse afin de leur permettre de percevoir une rémunération lors de la reproduction et de la représentation de leurs publications par un tiers sur internet. Toute plateforme numérique (Google ou Facebook par exemple) utilisant tout ou partie d’un article de presse, devra verser une rémunération aux éditeurs de presse. Sa forme reste néanmoins à définir. Le Parlement européen exige que cette rémunération soit "juste et proportionnée". Par exemple, les services d’agrégation d’actualités, à l’instar de Google actualités, devront rémunérer les éditeurs de presse pour l’exploitation qu’ils font de leurs contenus numériques.
Le Parlement a cependant ajouté deux exceptions au texte proposé par la Commission.
D’une part, ce droit voisin ne pourra pas s’appliquer aux simples hyperliens accompagnés de "mots isolés". Cette exception, qui malgré une rédaction un peu floue vise les liens hypertextes, selon le rapporteur de ce texte, a vraisemblablement été ajoutée afin de rassurer les sites internet tels que WIKIPEDIA. Il appartiendra cependant aux Etats d’en définir les contours précis.
D’autre part, ce droit ne peut empêcher l’utilisation légitime, à titre privé et non commercial, de publications de presse par des utilisateurs particuliers. Il s’agit d’une extension de l’exception pour copie privée, connue en droit d’auteur, à ce nouveau droit voisin.
Enfin, le texte prévoyait que ce nouveau droit des éditeurs expirait 20 ans après la publication de la publication de presse, le point de départ étant fixé au 1er janvier de l’année suivant la date de la publication. Le Parlement a quant à lui réduit cette durée à 5 années et précisé que ce droit ne s’appliquait pas avec effet rétroactif.
Marc et Inès, que pourrait changer la directive européenne pour les plateformes ?
Le projet rejeté par le Parlement prévoyait que les plateformes devaient mettre en place un filtrage automatisé pour s’assurer que les contenus protégés par le droit d’auteur ne soient pas diffusés de manière illégale sur leurs services.
Les points de blocage ont tenu en ce que les plateformes pourraient être amenées à censurer certains contenus pour se protéger des infractions du droit d’auteur, mais également en ce que seules les plateformes bénéficiant de moyens financiers importants auraient été en mesure de mettre en place de telles mesures. Incidemment, un tel dispositif aurait remis en cause l’absence d’obligation générale de surveillance instaurée par la Directive 2000/31 sur le commerce électronique transposée en France par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN).
Si le dispositif de filtrage automatisé n’a finalement pas été retenu, les prestataires de services de partage de contenus en ligne sont tenus de coopérer "de bonne foi" avec les titulaires de droits pour empêcher l’accessibilité des œuvres protégées, dans l’hypothèse où ces derniers n’ont pas souhaité conclure de licences. En outre, les Etats membres devront veiller à ce que ces prestataires mettent en place des dispositifs de plaintes qui devront être examinés "sans retard", et de recours effectifs et rapides en cas d’un retrait de contenus injustifié.
Il est à espérer que les détails de mise en œuvre de la coopération entre plateformes et ayants droits soient précisés lors du trilogue et non uniquement au stade de la transposition de la directive par les Etats membres.
Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier)
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