Depuis la tragédie de FUKUSHIMA, la sûreté nucléaire est au cœur des préoccupations des citoyens.
William AZAN, avocat associé du cabinet AZAN Avocats Associés, praticien du Droit de l’Energie, et Benjamin TORCHIO, ingénieur au sein de NUDEC, entreprise du secteur nucléaire, font le point sur l’arrêté du 7 février 2012 qui cadre les mesures de sécurité auxquelles doivent désormais répondre les exploitants d’installations nucléaires, en termes d’organisation et de responsabilité notamment, afin de prévenir et de gérer les éventuelles situations d’urgence. Ils constatent que les facteurs humains et organisationnels se trouvent au cœur du concept global de sûreté nucléaire.
A l’heure où le débat politique rebondit sans cesse quant aux contours de la filière nucléaire (3e secteur industriel en France) et aux besoins de production électrique à l’échelle internationale, il convient, nous semble-t-il, de faire un point d’étape sur les dernières évolutions techniques et réglementaires relatives à la sûreté des INB - Installations Nucléaires de Base.
Immédiatement après la tragédie de FUKUSHIMA, un audit général a été commandé par le Gouvernement avec l’appui de l’Autorité de Sûreté Nucléaire ; ses conclusions sont désormais connues et largement diffusées auprès du grand public.
Au-delà du constat dressé, des mesures d’urgence mises en œuvre, la question de la sûreté nucléaire reste à raison au cœur des préoccupations des citoyens.
Nous disposons aujourd’hui d’un cadre réglementaire de qualité, dont il convient de tirer désormais le meilleur parti pour améliorer encore les pratiques opérationnelles des industriels.
L’arrêté du 7 février 2012, dans le droit fil de la Loi TSN du 13 juin 2006, de la Loi déchets du 28 juin 2006, désormais intégrés le 6 janvier 2012 au Code de l’Environnement tout comme la Loi du 30 octobre 1968, forment un ensemble général normatif venant fixer les règles générales de fonctionnement des INB jusqu’à leur démantèlement final.
Le nouveau dispositif modifie les pratiques des industriels et renforce finalement les garanties données aux populations.
L’arrêté du 7 février 2012, dont on mesure les contours désormais, vise à définir l’ensemble des mesures de sécurité auxquelles doivent répondre les exploitants en termes d’organisation, de responsabilité et d’aptitude à prouver le niveau réel de sécurité de l’installation, afin de répondre aux attentes de la population pour prévenir et gérer la situation d’urgence.
Il vise aussi à intégrer en droit français les plus hauts standards internationaux (WENRA) définissant les niveaux attendus dans ce domaine sensible après l’accident majeur ayant frappé le Japon.
Il constitue, selon nous, le socle d’un nouveau paradigme citoyen susceptible d’améliorer tant la sûreté nucléaire effective que la qualité du dialogue entre les professionnels et la société toute entière.
Quelles en sont les innovations principales et les conséquences que peuvent attendre les industriels de la filière ?
1. Une approche intégrée
Désormais, le Droit Nucléaire rentre pleinement dans le champ du Droit de l’Environnement. Il s’aligne sur le régime plus classique des Installations classées pour la protection de l’environnement issu de la Loi du 19 juillet 1976, en tous cas les plus dangereuses d’entre elles.
C’est pour les juristes, comme pour les ingénieurs, un grand soulagement de constater que les INB ne sont plus perçues comme des unités industrielles totalement étrangères au droit commun.
Outre la simplification de l’usage des concepts utilisés, il y a là un souffle profond de renouveau de la qualité du dialogue entre les experts et les populations.
Selon nous, professionnels du secteur, il ne pourrait y avoir de confiance mutuelle dans un droit d’exception.
La transparence voulue par le législateur depuis la Loi du 13 juin 2006 dans le domaine nucléaire (ainsi que la Loi déchets du 28 juin 2006) ne saurait être une simple vue de l’esprit si les opérateurs économiques de la filière se fixent dans le même temps de nouvelles obligations déontologiques et éthiques strictes à côté de la réglementation environnementale spécifique aux installations les plus dangereuses.
Ce mouvement, lancé bien avant FUKUSHIMA, apparaît dès lors comme un gage de sérénité indispensable à la qualité des décisions que nous aurons collectivement à prendre et à mettre en œuvre, et dont l’essentiel des effets pèseront sur les générations futures.
2. Les facteurs sociaux, organisationnels et humains, éléments essentiels de la sûreté
A l’heure où la récession frappe à la porte de l’Europe, l’arrêté du 7 février 2012 apporte de nouvelles opportunités pour offrir des emplois à long terme sans risque de délocalisation possible… tout en améliorant sensiblement la qualité de notre sûreté nucléaire au quotidien.
En considérant que l’INB est, en soi, une unité industrielle dynamique que l’on doit appréhender dans son ensemble, depuis sa conception jusqu’à son démantèlement ou le renouvellement programmé de ses équipements importants, il confie un rôle accru à l’homme qui, seul, peut adapter son action en temps réel aux dangers se présentant à lui.
Le retour d’expérience de l’accident majeur de FUKISHIMA démontre le caractère sériel des causes à l’origine des sinistres les plus impressionnants frappant l’industrie nucléaire au plan mondial.
Au cœur de celles-ci, le facteur humain conduit à s’interroger, comme d’ailleurs dans l’industrie aéronautique, sur les axes d’amélioration de la formation des personnels de cette filière, depuis leur recrutement jusqu’au terme de leur carrière.
En insistant considérablement sur la traçabilité des mesures préventives et correctives de nature à éviter un sinistre ou à en limiter les effets dans les situations d’urgence les plus risquées, nous disposons aujourd’hui d’un cadre permettant la transmission du savoir non seulement entre concepteurs, réalisateurs et exploitants, mais aussi et surtout entre les générations d’ingénieurs qui se succèdent autour d’une INB.
Ainsi, par exemple, EDF devra-t-il faire face au départ en retraite de la génération des baby- boomers (30% de ses effectifs), ce qui a conduit au recrutement de 6 000 personnels pour le seul exercice 2012.
Cette transmission du savoir constitue un enjeu majeur pour la filière nucléaire au moment du départ en retraite de ceux qui ont encore la mémoire, par voie orale par exemple, de la mise en route industrielle de nos centrales, mises en service il y a 35 ans pour certaines.
A court terme, cela signifie bien évidemment que les entreprises du secteur disposent d’outils de management documentaire complets, mais aussi d’outils pédagogiques afin d’éviter les incompréhensions attachées à un saut générationnel.
Au-delà, cela ouvre surtout pour les jeunes retraités de la filière un vaste champ de poursuite d’activité professionnelle en vue de transmettre leur savoir-faire, notamment en matière d’hygiène et de sécurité des salariés, mais aussi sur le terrain de la maintenance et de l’exploitation des INB.
La traçabilité documentaire normalisée est utile également pour assurer la transparence de la filière vis-à-vis des populations, tout comme l’effectivité réelle des procédures d’urgence prévues en cas de situation d’incident.
Elle sert aussi de levier à la formation des plus jeunes par les anciens, afin, notamment, que les bonnes pratiques puissent être non seulement conservées mais aussi constamment développées.
Il est d’ailleurs fort à parier que la formation et la gestion documentaire constitueront des relais nouveaux de croissance à l’export pour nos entreprises, notamment dans le domaine de l’ingénierie nucléaire ou du consulting.
En effet, dans un monde complexe où la culture influe directement sur les standards de qualité et de sécurité, la formation continue et le partage des savoir-faire dans le domaine de la prévention ou de la gestion des situations d’urgence renforcent la pertinence à l’export de l’offre de nos entreprises de services, comme la sécurité de nos populations elles-mêmes : la radioactivité ne connaît pas les frontières…
3. La centralisation des responsabilités
La dispersion des responsabilités au travers d’une cascade de prestataires extérieurs est désormais largement proscrite, à l’aune des nouvelles dispositions de l’arrêté INB du 7 février 2012.
Il s’agit, pour les autorités de contrôle, de s’assurer que les contrats de sous-traitance garantissent le maintien d’un haut niveau de technicité et de sécurité, malgré la pluralité d’acteurs à l’interface des périmètres d’action des différents opérateurs intervenant sur un même site.
Les entreprises choisies par les exploitants des INB doivent ajuster leurs offres commerciales pour y faire face, dans le respect des règles déontologiques dont elles doivent, par ailleurs, se doter selon nous.
Cela renforcera probablement la mise en place de contrats d’ensemblier clé en main, qui évitent toute dilution des responsabilités dans la chaîne des acteurs : les donneurs d’ordre souhaitent disposer d’une garantie de résultat, laquelle est le plus souvent attachée à des contrats globaux.
Cette garantie de résultat reposera sur une analyse détaillée des risques encourus, mais aussi sur des engagements importants au plan technique et financier.
Cela s’exprimera également par une adaptation des conventions de co-traitance, afin que le mandataire d’un groupement conjoint solidaire dispose de véritables pouvoirs de contrôle sans courir de risque supplémentaire en cas de défaillance de l’un de ses partenaires.
Cela exigera, enfin, une adaptation des contrats d’assurances, qu’il s’agisse de travaux (en matière de garantie dommages ouvrages par exemple) ou d’ingénierie (en matière de responsabilité civile professionnelle).
4. Conclusion
A l’orée de la 3e révolution industrielle, la segmentation des méthodes industrielles a montré ses limites, notamment sur le terrain de la transmission du savoir ; la filière nucléaire civile met en place une vision modernisée du concept de sûreté au travers d’une vision plus globale.
Au-delà, et spontanément, les industriels de la filière doivent s’engager sur une charte déontologique pour éviter tout conflit d’intérêt, notamment avec les commissions locales, sous l’égide de l’Autorité de Sûreté Nucléaire.
Cette éthique industrielle ne doit pas seulement servir de support de communication médiatique.
Il doit s’agir, dans l’esprit de tous, d’une plateforme permettant un dialogue renouvelé et de confiance avec les industriels et les populations pendant toute la durée de vie d’un site nucléaire, de sa conception à sa mise en service, puis de son exploitation jusqu’à sa mise à l’arrêt et à son démantèlement final.
En matière de sous-traitance et compte tenu des enjeux de sûreté, les exploitants de sites nucléaires doivent s’attacher les meilleures compétences. A ce titre, l’application de leur part d’une politique d’attribution des marchés selon la règle du mieux-disant (versus le moins-disant) serait un progrès considérable.
William AZAN, avocat associé du cabinet AZAN Avocats Associés, praticien du Droit de l’Energie, et Benjamin TORCHIO, ingénieur au sein de NUDEC, entreprise du secteur nucléaire