Chine-France : la partie n’est pas jouée

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Daniel Chausse, Président du réseau DS AvocatsA l’occasion de la conférence ‘Chine-France : la partie n’est pas jouée’ organisée par DS Avocats à l’occasion de ses 25 ans de présence en Chine, la rédaction du Monde du Droit a rencontré Daniel Chausse, Président du réseau DS Avocats.

L’intitulé de cette conférence ‘Chine-France : la partie n’est pas jouée’ n’a pas été rédigé sur un mode interrogatif ?

Derrière la forme affirmative employée, on perçoit aisément un espoir, une promesse. Cet intitulé traduit de notre part une "positive attitude", ce depuis 25 ans que DS Avocats est présent en Chine.

Quand on évoque la Chine, est-on dans le mythe ?

Probablement, parce que la Chine a toujours habité l’imaginaire occidental. Si bien qu’on se trouve très vite dans l’excès :
- soit on tombe dans la flagornerie à l’évocation, par exemple, de cette civilisation plusieurs fois millénaires, ou encore à l’évocation de son récent et très spectaculaire développement économique.
- soit on tombe dans l’excès inverse quand on fait référence à sa taille – qui inquiète (1 terrien sur 5 est chinois) - à la nature de son régime politique ou encore et surtout quand on aborde la question des droits de l’homme.

La Chine est-elle un pays difficile à comprendre ?

Ses codes nous sont souvent hermétiques. Mais depuis 25 ans, et notre présence à Pékin, Shanghai, Canton, Hanoi, Ho Chi Minh ville et à Singapour, nous avons su nous adapter des décoder certaines pratiques.

Comment un cabinet d’avocats français, a pu imaginer, il y a 25 ans, s’installer en Chine ? A cette époque, cette décision relevait pour le moins d’un pari audacieux ?

D’autant plus d’ailleurs qu’à l’époque, à défaut de clients en nombre important déjà concernés par la Chine, nous n’avions malheureusement pas à les suivre en Asie mais nous avions simplement à espérer fortement que notre installation précèderait très vite la leur.
A cette époque il n’était pas question de traiter des investissements chinois en France ; à ce moment-là, ces investissements, ils n’existaient pas et les perspectives n’étaient pas encore présentes.
Je dirais qu’au-delà de l’ambition de certains d’entre nous, se cachait derrière cette décision une conviction forte qui nous animait et qui continue de nous animer aujourd’hui : la conviction que le monde du droit des affaires n’était pas, par nature, réservé aux seuls cabinets d’avocats anglo-saxons, notamment dans leur dimension entrepreneuriale et internationale.


Autrement dit, un cabinet français de taille modeste (à l’époque DS comptait à peine 10 avocats) pouvait-il affronter une concurrence qui s’annonçait très rude et trouver sa place ?

Oui, pour peu que le cabinet se dote d’une organisation collective transformant le cabinet classique en véritable entreprise du droit. Mais aussi qu’il sorte de l’hexagone en s’intéressant à des pays à fort potentiel, et notamment des pays, comme on le disait à l’époque, en voie de développement et qu’il choisisse des pays où la concurrence des cabinets d’avocats n’y était pas déjà trop installée.
Ces conditions nous renvoyaient à l’Asie et idéalement à la Chine.

Tout cela suggère, comme le suggère d’ailleurs l’intitulé de votre conférence ‘France-Chine : la partie n’est pas jouée’ que la France peut s’exporter ?

Aucune vérité ne l’en empêche. D’ailleurs, occidentaux que nous sommes, méfions-nous de nos vérités universelles : avec son développement exceptionnel de ces 25 dernières années, la Chine nous enseigne que la prétention occidentale de détenir seule "la vérité" du développement économique n’est plus justifiée.

Cela dit s’installer en Chine est une chose, y demeurer et s’y développer en est une autre…
La pérennité de notre installation tient probablement à deux séries de raison : notre organisation, nos comportements sur place, ont été et sont toujours dictés par notre souci de respecter ce pays et ses codes en nous considérant en réalité comme de "simples invités" :
  ce parti pris de ne pas nous comporter en terrain conquis nous a conduits immédiatement à constituer des équipes biculturelles : aujourd’hui près d’une vingtaine de juristes chinois exercent à nos côtés en Chine ou à Paris,
  ce parti pris nous a amenés à nous comporter avec les chinois, sans pour autant perdre notre âme, comme de "vieux amis" (concept qui renvoie au temps et qui est crucial en Chine), et à nous comporter avec les sociétés et administrations chinoises avec pragmatisme, ce pragmatisme qui caractérise tant le monde chinois.

Est-ce grâce à ces préceptes qu’après après avoir obtenu le droit d’ouvrir un bureau à Pékin dans les années 80, vous avez obtenu à la fin des années 90 le droit d’exercer à Shanghai, puis en 2004 à Canton ?

DS avocats a été ainsi très longtemps le seul cabinet occidental à bénéficier de la part des administrations chinoises de trois licences d’exercice. Cette année, DS Avocats a été le seul cabinet d’avocats français invité membre du Barreau de Shanghai.
La seconde raison de notre pérennité en Chine tient évidemment aux hommes.
En Chine, à l’ouverture du XIème Congrès du Parti Communiste Chinois, il n’était pas évident qu’un Deng Xiaoping arrive à imposer une transformation profonde du régime maoïste par une politique de réformes et d’ouverture.
Mais nos équipes ont su faire régner dans notre cabinet "l’harmonie" nécessaire : "l’harmonie" encore un concept chinois très fort : je pense d’abord et avant tout aux deux premiers fondateurs du cabinet - il y a 40 ans cette année - à savoir Denis de Ricci et Georges Selnet. Et puis à l’ensemble des associés du cabinet qui ont accepté, tout au long de ces 25 dernières années, la transformation parfois douloureuse de notre structure d’origine - structure contentieuse - en une véritable entreprise du droit capable d’assurer le pari asiatique qui avait été fait à l’époque.

Après 25 ans d’expérience, avez-vous ressenti le développement économique de la Chine ?

En effet, malgré ce développement spectaculaire, une grande majorité de la population n’est toujours pas réellement servie et 400 millions de chinois vivent aujourd’hui en dessous du seuil de pauvreté.

Toutefois des difficultés sont encore immenses… ?

Oui, en raison notamment d’une pyramide des âges marquée par un fort déséquilibre lié à la politique de l’enfant unique et d’une urbanisation galopante qui coupe de leurs racines paysannes des millions de personnes.
Des bouleversements culturels et comportementaux engendrés par le mot d’ordre de Deng Xiaoping : le fameux ‘enrichissez-vous’. Injonction dont on peut craindre qu’elle provoque en Chine l’effondrement des valeurs traditionnelles de solidarité et d'unité pour faire de l’argent la valeur suprême et faire de l’individualisme un mode comportemental normal.

La liberté politique, ou une forme de liberté politique, peut-elle rester longtemps dissociée du développement économique ?

Le XVIIIème Congrès du PCC a renouvelé ses dirigeants à l’issue d’une lutte qui a opposé depuis maintenant plusieurs années les partisans d’une libéralisation politique à ceux qui veulent maintenir un autoritarisme politique.

Que va faire cette nouvelle génération, la 5ème dit-on à Pékin, celle qui est née avec le développement ?

Du côté de DS Avocats, si j’ose l’analogie, il nous faudra aussi tenir nos engagements de développement et de pérennité et c’est d’ailleurs ce qui nous a conduits à créer le Réseau international DS pour nous doter d’une véritable image européenne. Il nous faudra poursuivre notre route vers la création d’un grand cabinet continental européen ; c’est notre cap !
Et probablement aussi ouvrir d’autres axes de développement. Il faudra surtout que cette génération des 25 ans, comme l’a si bien fait la précédente, transmette correctement aux plus jeunes les valeurs et principes essentiels de notre cabinet et l’ambition qui est nécessaire pour les respecter.

Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier Ministre, qui a ouvert cette conférence, annonce qu’une de ses recettes et de ne pas oublier de "….marcher toujours à l’affectif", est-ce votre recette du succès des 25 ans de présence de DS Avocats en Chine ?

Je crois que ce sera plus facile si, comme le suggère l’intitulé de notre conférence, les entreprises françaises savent profiter beaucoup mieux aujourd’hui qu’hier de la puissance de la Chine. Mais en sont-elles réellement capables ?

A cette occasion, nous avons mis en ligne un site dédié à la conférence : http://www.dsavocats.com/chinefrance25ans/

 

Propos recueillis par Arnaud DUMOURIER


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